dimanche 29 décembre 2013

Bloody Room

J'ai toujours pensé que je m'en sortirais, que rien ne pourrait m'arrêter.
Trop malin, trop rigoureux, trop précis. Je sais louvoyer, manipuler, négocier, me rendre invisible, impliquer les autres. L'impunité dirige ma vie depuis plus de quarante années.
Mais cette-fois, c'est bel et bien terminé. J'ai commis trop d'erreurs en trop peu de temps. Cette chambre d'hôtel sera mon dernier refuge avant la prison.
Ce n'est pas la première fois que je perds le contrôle. À vrai dire, je le perds à chaque fois, il le faut pour profiter pleinement du moment. Commettre un crime n'est pas une activité froide et mécanique. Je tue par besoin, par envie, pour faire vibrer mon organisme d'une euphorie jouissive. Alors oui, je perds le contrôle, mais jusqu'à aujourd'hui, j'ai toujours su préparer, organiser, ranger, nettoyer, en un mot, gérer cette perte de contrôle, à la perfection. Jamais la police n'a pu me soupçonner.
Ce soir, c'est bien différent. Trois cadavres souillent la moquette de la chambre. Deux hommes et une femme. Oh, ce ne sont pas les pires crimes que j'ai commis. Je me suis contenté de les frapper avec un couteau. Le plus abîmé, c'est le premier homme. Je l'ai planté au visage tellement de fois que sa tête ressemble à un plat de tartare. L'autre homme est égorgé, la femme seulement éviscérée. Rien de vraiment original, à vrai dire. Toutefois, ces crimes sont – et de loin – les plus salissants de ma carrière de tueur. Impossible de laver de la moquette ainsi imbibée, impossible de la cacher ou de la faire disparaître. Sauf en brûlant tout. Oui, je pourrais tout brûler, à la rigueur.
Seulement, il y a un témoin. Et ce témoin est à présent à la réception, dans la rue, pendu à un téléphone public ou un mobile, ou encore, dans les locaux de la gendarmerie, que sais-je...
La police est certainement sur le chemin. Je suis fini.
La soirée avait pourtant bien commencé.
J'ai rencontré une fille, une jolie blonde nommée Cassandra dans un café. Elle attendait quelqu'un. Lorsque j'ai engagé la conversation, j'ai bien vu qu'elle n'était pas intéressée. Elle fuyait mon regard, ne répondait pas à mes questions. Mais le type n'est jamais venu alors, elle a commencé à boire. Au bout du troisième verre, elle est soudainement devenue plus ouverte et plus bavarde.
En fait, elle n'attendait pas un galant, comme on dit. Elle attendait l'agent d'un producteur de télévision. Elle espérait obtenir un rôle dans une série, un truc énorme, prétendait-elle. Encore une illusion perdue...
Nous avons longuement devisé sur le cynisme de notre époque, le manque de loyauté, d'honnêteté, de respect, de considération dont font preuve les « puissants » de ce monde... C'était trop facile.
Je l'ai emmenée dans cet hôtel, où je résidais depuis trois jours. Un endroit calme, plutôt sympa. J'aime les hôtels, c'est tellement pratique. On peut s'inscrire sous un faux nom, du moment que l'on paie la chambre, on est tranquille. Et puis, c'est nettoyé quand on rentre le soir. Parfait !
Je ne tue jamais dans un hôtel. Anonyme ou pas, ce serait prendre le risque de voir le ou la réceptionniste, une femme de ménage ou un autre résident, faire la relation entre la victime et moi. Non, trop risqué. Si j'avais emmené cette fille dans ma chambre, c'était pour la sauter. La sauter vraiment, et sans la tuer !
Vers minuit, après avoir honoré plusieurs fois la jolie blonde, je me suis levé pour aller pisser. Dommage, si j'étais resté endormi, la suite des événements se serait sans doute déroulée autrement. Toujours est-il que mon urine coulait dans la cuvette lorsqu'on frappa à la porte. Une seconde plus tard, je me jetai sur mon nécessaire de « travail », et en tirait un long couteau.
  • Qui est là ? Ai-je demandé.
  • Un type qui va te foutre une sacrée raclée, mon salaud, m'a-t-on répondu.
Le visiteur a frappé la porte plus fort, et a enchaîné par une série de coups de pied. Cassandra s'était dressée dans le lit, et semblait vouloir se protéger avec les couvertures. Le type venait pour elle. Comment avait-il su qu'elle se trouvait là ?
Je n'avais plus le temps de poser la question. La porte a cédé. Je me suis jeté sur le type, l'ai frappé plusieurs fois, l'ai renversé sur la moquette et ai réduit son visage rondouillard en tartare, comme je l'ai déjà expliqué. Un autre type est venu dans mon dos, un jeune gars que j'ai identifié, après l'avoir égorgé, comme étant le résident de la chambre voisine. Je ne sais pas ce qu'il voulait, peut-être m'empêcher de réduire la face de l'intrus en viande hachée, toujours est-il que son intervention lui a été fatale. Il n'était pas encore tombé au sol qu'une femme tout de blanc vêtue, sans doute la réceptionniste, est apparue dans l'encadrement de la porte. Je me suis jeté sur elle, l'ai plaqué sur le mur, et lui ai planté mon couteau dans le bas ventre, avant de remonter la lame jusqu'à sa gorge.
Ses entrailles coulaient à ses pieds lorsque j'ai vu Cassandra s'enfuir par la porte ouverte.
Je voulais me lancer à sa poursuite, mais j'entendais partout dans l'hôtel des portes s'ouvrir, des bruits de pas, des voix. C'était foutu.
J'ai pris une douche, me suis habillé, et depuis, j'attends que les flics viennent me serrer.
Je n'ai vu personne depuis une bonne heure, et pourtant, j'entends pas mal de bruit provenant du couloir et des autres chambres.
J'hésite à m'enfuir. Où pourrais-je aller sans me faire remarquer ? Par la fenêtre, je vois des voitures, des gyrophares. Ça parle, des gens s'agglutinent dans la rue. Je suis fait comme un rat. Pourtant, personne ne vient. C'est lassant.
Je sors. En bas, je vois deux types, tenus fermement par des policiers. Je salue un agent de la paix, qui ne répond pas à ma politesse. Tous les résidents sont réunis dans le hall. Je vais les rejoindre. Je vois Cassandra, étendue au sol. Manifestement, elle a été abattue. Une aubaine.
Je ne sais pas combien de temps ils vont mettre à comprendre que les cadavres situés dans ma chambre n'ont pas pu être abattus par les deux types du rez-de-chaussée, mais je m'en fiche pas mal.
À la première occasion, je tire ma révérence, et laisse tout ce beau monde nettoyer ce merdier.

Je reviendrai un autre jour pour tout brûler. Pas la peine de prendre le moindre risque...

vendredi 26 juillet 2013

Itinéraire d'un meurtrier malchanceux

S'il y a bien une chose dont je peux me vanter de savoir faire à la perfection, c'est de tuer mes semblables.
Une fois de plus, j'ai fait preuve de créativité dans la mise à mort, et le spectacle de cet homme s'étouffant avec ses propres entrailles, fermement enfoncées dans son gosier, provoquait au creux de mes reins une chaleur délicieuse. Je l'observais, bras croisés, dans une pose attentive, tenant encore en main le scalpel avec lequel je lui avais ouvert le ventre et lardé le visage de stries parfaitement parallèles, tout en me disant, au fond, qu'il n'était pas très malin de tuer son colocataire dans son propre appartement. Mais que voulez-vous... l'envie m'a saisi presque par surprise. J'avais besoin de le tuer, et de le tuer immédiatement.
Ses yeux crevés me faisaient penser à un peintre qui, mécontent de son absence de talent, et de l'éclat qu'il a été incapable d'imprimer dans leur expression, les barbouille de noir et de rouge dans un élan de rage. Le misérable, peu importe son nom, avait perdu beaucoup de sang, lorsque je l'ai ouvert en deux. Je me félicitais de l'avoir installé dans la baignoire, même si ce n'est pas lieu idéal pour travailler, cela manque de chaleur, de solennité, mais cela m'épargnait un nettoyage fastidieux. L'aspect pratique prime parfois sur le rituel.
Après de longues minutes d'agonie, il succomba enfin à ses blessures. J'en étais terriblement ému. Il me fallait trouver une femme.
Malgré de nombreuses tentatives pour trouver l'âme sœur, je n'ai jamais trouvé celle qui pourrait partager ma vie et mes secrets. Mes candidates, ou postulantes, si je puis les qualifier ainsi, prenaient mon profil de tueur au second degré. Je les rencontrais parfois totalement hilares « alors c'est ça le fameux psychopathe ? » Même s'il y a eu parfois le début d'un lien, d'une histoire, la réalité de mes crimes les a toujours effrayées. Il m'a fallu les tuer elles aussi, pour ne pas prendre de risques. Et œuvrer comme un diable entre différents pseudonymes et différentes adresses pour ne pas être confondu par la police. À l'aube de la cinquantaine, j'ai définitivement renoncé à trouver une compagne.
J'avais mes adresses, et en cette fin de journée, je savais que je n'aurais aucun mal à m'offrir les services d'une professionnelle. Oui, une prostituée, je sais, ce n'est pas très glorieux. De plus, c'est assez coûteux, mais n'ayant pas le physique d'une star de cinéma, je ne vois pas comment faire, à moins de prendre de force une fille au passage. Je n'ai pas de scrupule particulier à violer, mais c'est souvent plus dangereux que de tuer, le combat peut être brutal et incertain. Je préfère éviter d'autant que si le meurtre est déjà consommé, comme c'était le cas ce soir-là, je ne voulais pas commettre d'erreurs en accumulant des crimes non maîtrisés.
Je suis monté dans la chambre avec Sabrina, l'une de mes favorite, et durant la besogne, j'essayais de calculer son tarif horaire, sachant que la passe allait durer environ trois minutes, et que mon portefeuille allait s'alléger d'une bonne centaine d'euros... calcul inutile, mais il faut bien s'occuper. L'acte en lui-même ne m'intéresse pas, et s'il est court, c'est justement car je n'ai aucune raison de prendre mon temps et de faire durer le plaisir. Le meurtre et la violence m'excitent et provoquent ce besoin, mais c'est un besoin que je parviens encore à satisfaire sans être obligé de m'appliquer.
La transaction effectuée, je suis allé dans le quartier Monge, un endroit que j'apprécie particulièrement, pour y boire quelques verres. Cela peut paraître léger comme attitude car un corps sanguinolent reposait dans ma baignoire, mais je n'allais tout de même pas m'en débarrasser en plein jour !
Il faisait presque nuit lorsque je décidai enfin de rentrer. Les réverbères étaient allumés et jetaient une teinte jaunâtre aux rues tout en épaississant les ombres.
Lorsque je l'ai vue, grande élancée, avec ses longs cheveux blonds tombant jusqu'aux hanches, je n'ai pas pu m'empêcher de la suivre. Quelles étaient mes intentions ? Je ne saurais le dire. J'étais repu de meurtre et de sexe, rien de logique ne me poussait à marcher dans ses pas. Disons que j'ai été immédiatement conquis par sa silhouette, même si l'éclairage de mauvaise qualité ne m'en dévoilait pas tous les attributs.
Mon pas empressé devait s'entendre, car elle se retourna plusieurs fois. Quelle piteuse filature ! Je faisais semblant de rien, mains dans les poches, m'efforçant de marcher le plus ordinairement possible. J'imagine qu'elle pouvait me voir à la lueur des réverbères aussi bien que je pouvais la voir. J'étais donc repéré. Malgré tout, je continuais à la suivre. Dans l'hypothèse où elle préviendrait un agent de police, ou viendrait à moi pour me coller son pied dans les parties, je pouvais toujours expliquer mon ressenti, le plus simplement du monde. La sincérité suffisait, j'étais fasciné, et il me semble, aucune loi ne condamne la fascination d'un homme envers une femme...
Elle entra dans un vieil immeuble, non sécurisé et sans interphone. Cela me parut curieux qu'une belle femme habite dans un lieu aussi inquiétant, mais j'entrai à mon tour. Je montai les marches une à une, essayant de ne pas faire claquer les semelles de mes mocassins sur le bois verni. Mon poids provoquait des grincements sépulcraux, heureusement couverts par d'autres grincements, ceux des marches que foulaient la blonde.
Je m'immobilisai sur le seuil d'un couloir, au troisième étage, car je la devinais, marchant dans un couloir éclairé uniquement par les lumières de la rue. Elle ouvrit une porte, entra dans un appartement... et laissa manifestement la porte ouverte.
Elle m'attendait.
Et elle n'eut pas à attendre longtemps. Renonçant à la discrétion, je pénétrai dans le couloir, et dans le logement encore plongé dans l'obscurité. Je cherchai l'interrupteur lorsqu'un poing d'acier s'écrasa sur ma joue. Je m'écroulai lamentablement sur un plancher de bois poussiéreux au verni abîmé. Quelqu'un me tourna sur le ventre, défit ma ceinture, baissa mon pantalon et mon slip. Une main s'appuya sur ma tête, clouant ma joue sur le sol. J'entendis un souffle, sentis un poids peser sur mon dos, tandis qu'une main écartait mes fesses pour y glisser un sexe qui me parut énorme. La sensation fut bouleversante et humiliante à la fois. L'individu dut forcer longuement, et asséner de multiples coups de reins rageurs pour déchirer mes chair et ouvrir enfin un chemin, mais il y parvint. Mes sphincters cédèrent, la pénétration s'opéra sans finesse, et contrairement à tout ce qu'avais pu entendre précédemment, la douleur ne s'atténua pas durant l'acte, elle devint même insupportable.
« C'est ça que tu voulais, c'est ça ? » éructait mon violeur, en frappant de plus en plus rapidement et brutalement mes fesses de ses cuisses dans des claquements de chair semblables à des gifles. Finalement, il se retira, empoigna mes cheveux et m'obligea à offrir mon visage. J'eus peur qu'il m'oblige à prendre son membre dans la bouche, mais fort heureusement, il se contenta de m'asperger le visage de son infecte semence.
« Tu m'as cherché, tu m'as trouvé », déclara mon agresseur en ajustant sa jupe. Je vis ses longs cheveux blonds voler dans le faible éclairage du couloir, au moment où il faisait demi-tour en m'abandonnant au sol.
Je me rhabillais difficilement, encore sonné. Je n'avais pas le cœur à le poursuivre pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Pourtant, mon imagination fertile envisageait à son objet une scène de meurtre d'une violence inouïe, digne de mes plus délectables basses œuvres...
Je fis de cette scène un projet à concrétiser à court terme mais pour le moment, j'avais une plaie à soigner et un corps à faire disparaître... je retournai donc chez moi.
Home, sweet home, c'est l'expression consacrée pour désigner un havre de paix, où l'on panse ses blessures, où l'on se repose et où l'on trouve quiétude et réconfort...
Mais cette nuit, je n'avais plus de home, sweet home...
Plusieurs voitures de police étaient garées devant ma résidence, ainsi qu'une ambulance. Le personnel médical circulait tel un ballet de fourmis blanches, les agents de police prenaient les dépositions de mes voisins, des passants ou des journalistes (ils sont de plus en plus difficiles à reconnaître !) filmaient ou prenaient des photos. Je ne sais pas ce que j'espérais en les rejoignant dans la lumière des phares, si ce n'est qu'on ne m'attribuerait pas la responsabilité de ce qu'on avait probablement découvert chez moi. Du moins, pas dans l'immédiat, ce qui m'aurait laissé le temps de trouver une échappatoire. Malheureusement, dès que la concierge me reconnut, je fus l'objet d'une suspicion proche de l'accusation de la part des autorités...
Je fus interpellé sans opposer de résistance. On m'incarcéra pour le meurtre de mon colocataire, un type dont j'ai totalement oublié le nom.
Mon procès dura plus d'une semaine. J'eus la joie, c'est ironique, de revoir mes parents, vieux et desséchés, pire que des momies, ma sœur, vieille poule nourrie aux oléagineux, ainsi que de vieilles connaissances, ridées et décaties, visiblement affectés par les débats et par les histoires que je fis un plaisir de leur raconter, avec calcul, de manière à les impliquer plus ou moins directement dans mes dérives psychologiques, de manière à réduire au fil des débats ma responsabilité, tout en amplifiant leur culpabilité, ce fut presque aussi jouissif qu'un meurtre !
On m'infligea une peine de 20 années fermes. D'après mon avocat, si je me tenais bien, je pouvais espérer revoir la lumière du jour avant mes soixante ans et couler une retraite paisible, quelque part à la campagne...
Si je me tenais bien.
Mais les hasards de la vie sont parfois pervers. Après quelques mois passés à la Santé, on me transféra à Fleury-Mérogis. C'est en nouant de nouveaux contacts, lors d'une conversation, que j'eus la puce à l'oreille. Je l'entendis se vanter de ses prouesses, prouesses qui lui valaient aujourd'hui d'être mis en cage avec des criminels bien plus dangereux que lui.
Je la vis au cours de la promenade, ma blonde. Elle avait raccourci ses cheveux, portait un pantalon, et ne ressemblait plus vraiment à une femme, mais son accoutrement ne laissait aucun doute sur son identité. Elle faisait partie d'un groupe arborant des t-shirts hardos du groupe Sodom.
Je souriais intérieurement.
Tant pis pour la retraite. La récidive était imminente...