dimanche 15 août 2021

Pass' partout !

 


L'homme s'assied sur une chaise en osier du « Café des bons vivants. » Il attend.

Une serveuse l'aborde.

— Pourriez-vous présenter votre pass sanitaire ?

— Non, mais je vais prendre un café.

— Monsieur, si vous n'avez pas votre pass, je ne peux pas vous servir.

L'homme fait jaillir de l'envers de sa veste un journal, et l'étale sur la table.

— Tant pis. Je voulais consommer, mais c'est pas grave...

La femme l'observe un moment. Hésite un peu. Finalement, elle va s'occuper d'un autre client.

Quelques minutes plus tard, un autre homme se présente, portant son smartphone en mains. La serveuse prend son QR Code, et lui souhaite la bienvenue.

— Je prendrai deux cafés, s'il vous plaît.

L'individu s'installe à la table de l'opportun en irrégularité. Elle soupire. Apporte les deux tasses. Le duo la remercie avec de grands sourires.

Elle repart lorsqu'un gendarme coupe sa trajectoire.

— Madame, vous venez de servir un irresponsable qui n'a pas son pass sanitaire. Dois-je vous rappeler vos obligations ?

— Ce n'est pas lui que j'ai servi, c'est l'autre. Et il est en règle.

— Moi, ce que je vois, c'est qu'il boit tranquillement un café, alors que je le connais, je l'ai croisé à la manif de samedi dernier, c'est un anti-pass. Il n'aurait même pas dû pouvoir s'asseoir.

— Que voulez-vous que je fasse ? Que je me batte avec lui ?

— Ne soyez pas insolente. Vous ne respectez pas la loi, je me vois contraint de vous verbaliser.

La femme s'anime alors d'une colère toute méditerranéenne.

— Ah non, alors ! Pas question ! C'est lui le contrevenant, pas moi ! J'ai suivi les règles, ça fait plus d'un an et demie que ça dure, j'ai dépensé sans compter pour respecter les normes, ça fait des mois que je n'entre plus dans mes frais ! Indemnisations, tu parles ! J'ai fait ce qu'on me demandait, prenez-vous en à ceux qui...

— Oh, oh ! Baisse d'un ton, la Fatima ! Mets-toi à genoux, mains dans le dos !

— Et puis quoi, encore ?

Le gendarme bombe du torse, et s'empare de sa matraque. Elle l'observe pendant qu'il approche. Soudain, elle écarte les pans de sa robe, en dévoilant une ceinture particulière. Il s'arrête, stupéfait. Elle lève la main droite, et dans cette main, il reconnaît le détonateur.

— Putain de bonne femme !

— Allah akbar, charlot !

L'explosion souffle la terrasse d'un nuage grisâtre et meurtrier. Les chaises et les tables se dispersent comme autant d'allumettes transformées en épieux. Les clients vaccinées se désintègrent sous la déflagration. Leur chair se disloque, leurs membres arrachés rejoignent les gravats.

Une voix se fait entendre :

— Qu'est-ce qui s'est passé ?

— C'est un coup des anti-vax ! hurle un vieux qui n'a rien suivi de l'affaire.

C'est alors qu'une porte d'immeuble s'ouvre, et libère à travers les rues, des hommes armés de fusils mitrailleurs.

— Y'en a ras-le-cul de ces terroristes !

Le meneur s'adresse aux rescapés et aux badauds des rues parallèles.

— Mesdames et messieurs, ceux qui ont le pass, allez sur le trottoir de droite, et je veux les voir. Et ceux qui n'en ont pas, c'est le trottoir de gauche. Maintenant !

Les gens, déjà apeurés par le désordre ambiant, obéissent sans réfléchir. Surtout les vaccinés, qui rejoignent rapidement le trottoir qui leur est assigné. Au final, le commando se positionne devant les non-vaccinés, dont certains ne cachent pas leur hostilité.

— Un peu de ménage, ça ne peut pas faire de mal à ce pays !

Les fusils se mettent à crépiter. Les corps s'agitent sous les impacts et s'effondrent au sol, libérant des torrents de sang brillant. Les vaccinés soupirent de soulagement.

— Voilà une bonne chose de faite, déclare le chef de la bande. Allez, les gars, on va se boire une bière !

Ils reprennent leur marche, mais soudain ils s'immobilisent, le visage figé. Un sifflement perce le silence. Un fourgon étrange investit la rue encombrée de corps et de débris. Il roule à petite allure. Aucun conducteur ne semble se tenir derrière le volant. De petites voix aiguës se font entendre. La porte arrière s'ouvre et une créature non humaine en descend. Elle observe les soldats pro-vaccins avec un air satisfait. Elle fait un geste à ses comparses, de l'un de ses quatre bras. Après une petite manipulation sur une console électronique, les hommes s'animent, et se mettent en rang d'oignons.

La créature lève l'un de ses pouces. Parfait.

L'opération s'annonce sous les meilleurs auspices...