samedi 1 janvier 2022

Ultime bonne année

 


« Coupez, coupez, coupez ! »

Hommes, femmes et enfants s'acharnaient à coups de ciseaux sur de larges bandes de papier plastifié multicolores. Les confettis se déposaient sur des rigoles d'eau qui les emportaient vers les profondeurs. L'agent de maintenance, une femme d'âge mûr, voire blette, passait entre les travées et encourageait ses compagnons à aller plus vite, toujours plus vite.

Le temps était compté.

La nouvelle année s'annonçait. Et avec elle, bien plus.

Au fond du bunker, chacun savait où se finiraient les célébrations. Et tous s'en fichaient. Car ne demeuraient entre eux que solidarité, compréhension, fraternité. En somme, l'essentiel qui avait manqué aux civilisations précédentes. Le dénouement ne les décourageait pas, au contraire, il les galvanisait.

Les râles des agonisants formaient un son déprimant contre les murs de pierre. Les troubadours tentaient d'en alléger la douleur avec des rythmiques enjouées. Et cela fonctionnait. Du moins, sur les enfants, qui dansaient autour des artistes, en riant.

Les parents, émus, parvenaient rarement à oublier leur condition. Mais voir leurs petits ainsi s'amuser leur embrasaient le cœur, malgré leurs peurs, leurs reproches, leurs rancœurs.

Tout cela n'aurait jamais dû avoir eu lieu.

Un agent de maîtrise, Elena Maïnkova, se détacha du groupe, et descendit au sein des bas-fonds.

« Faites sécher ! » ordonna-t-elle.

Et les ouvriers du sous-sol œuvrèrent ensemble pour diffuser une bise chaude à l'intérieur des vastes cuves. L'air échauffé agissait tel un sèche-linge, un objet dont plus personne n'avait entendu parler depuis des siècles. On fit dévier les autres rigoles vers d'autres cuves. Celles-ci furent totalement asséchées, prêtes à « l'emploi »...

À quoi bon tous ces efforts ? Les rapaces de la finance avaient tant affaibli les peuples du monde, les poussant au désespoir, à l'oubli, au renoncement, que plus personne ne sut faire face à la menace venant de l'extérieur. Il ne s'agissait pas des islamistes, des illuminatis, des adeptes d'une secte nouvelle, mais d'autres belligérants, inconnus et invisibles.

Un danger si grand qu'il aurait dû provoquer une convergence d'intérêts entre les nations, quelles que soient leurs orientations politiques et leurs engagements religieux. Ce ne fut pas le cas. Personne ne permit de lier les humains contre le péril venu d'ailleurs.

Alors, se produisit ce qui devait se produire.

Une attaque sans précédent venue d'ailleurs. Des bombes à la chaîne. Des continents totalement anéantis, et ce en quelques semaines. La vérité fut enfin révélée aux survivants.

Des êtres venus d'une autre galaxie s'installaient sur Terre, et ne supportaient pas la compagnie des natifs. Il leur fallait nous supprimer, pour pleinement savourer leur installation.

Ils étaient venus sur le sol de notre planète. En avaient humé la terre, avec délectation. Décidèrent de sauver l'essentiel. Surtout pas les humains, responsables de cette infamie. Alors ils bombardèrent les derniers bastions humains.

Et le bunker actuel était l'un des derniers. Elena Maïnkova en avait la certitude. Le dénouement se produirait cette nuit, quand bien même les autres n'auraient aucune connaissance de la portée symbolique de la date. Le trente-et-un décembre deux mille vingt-deux.

On coupait, on stockait, on asséchait, et tout cela, pour atteindre la fin de tout. La fin de l'humanité. Et peut-être, le départ d'autre chose... personne ne le savait, et aucun humain ne serait associé à ce renouveau, alors...

Alors la bombe frappa le bunker avec une puissance sans précédent. La structure se désagrégea, les couloirs s'embrasèrent, et les cuves furent mises à nu, libérant au sein des fumées, des milliards de particules multicolores, qui emplirent le ciel durant une éternité...

Bonne année, bande de chacals...