vendredi 13 avril 2018

Maux l'os


Il m'en est arrivé une belle mardi dernier.
Enfin, une belle, c'est façon de parler, car ma réaction n'a pas été jolie.
Et pourtant, je ne regrette rien.
Je faisais une marche en solitaire. Chateau-Chinon, les Brenets, Lavault-de-Fretoy, Denault, Chaumard ; je revenais en formant une boucle via Corancy. Au total, 45 bornes à peu près. Une journée peinarde, il faisait beau. Tranquille.

Dans la Forêt de l'Oussière, peu après avoir passé la Chapelle de Faubouloin, je croise un jeune glandu, dont la tête doit peser lourd, puisqu'elle courbe le haut de son corps comme un poids mort. Son teint d'un blanc d'aspirine se dévoile peu à peu, constellé par une acné dégueulasse, concentrée au niveau du front et des pommettes, une véritable batterie de boutons écarlates, près à vous gicler dessus ! Ce couillon promène un molosse, un berger allemand.
Le problème, vous le devinez, c'est que son clébard n'est pas tenu en laisse. Et qu'il ne porte pas de muselière.
J'adore les chiens, je dois le préciser. Ce sont des animaux bienveillants, utiles, souvent plus humains que les hommes. Ce n'est pas la première fois que je suis confronté à un animal en liberté. Sans me vanter, je sais gérer. Mon attitude, bienveillante, sans esbroufe, sans mouvements brusques, me permet de communiquer facilement avec eux. Je les comprends, ils me comprennent.
De toute ma vie, je n'ai jamais été mordu.
Le clébard de ce jeune glandu vient sur moi. En trottinant. Je vois dans son regard une sorte de voile, comme je n'en ai jamais observé. Je comprends qu'il n'est pas mentalement équilibré. D'instinct, je lève mon bâton de marche. C'est un bâton en fibre de verre à pointe métallique, plutôt solide. Il peut me servir d'arme. Le chien essaie de me contourner, mais je m'adosse à un arbre. Il s'arrête à un mètre. Et il grogne, l'enfoiré.
Ses crocs apparaissent. Jaunes, acérés, baveux...
Je fixe son maître. Le jeune con ne bouge pas. Son regard torve semble aussi mou que le haut de son dos. Je crois distinguer un léger sourire.
— Hey, garçon ! Tu peux appeler ton chien ?
Il hausse les épaules.
— Pourquoi faire ?
J'ai immédiatement la certitude qu'il se fout de ma gueule. Pour posséder un chien, il faut pouvoir s'en occuper, ce qui rend peu probable l'hypothèse de l'autisme ou de la débilité. Peut-être est-il un peu simple d'esprit, mais ce petit sourire... comment dire ? Ce petit sourire en raconte si long que mon opinion se fixe définitivement : la situation l'amuse, tout simplement.
Le clébard s'énerve alors que je ne fais aucun geste. Je renouvelle ma demande, en augmentant le volume de ma voix, ce qui excite le molosse. Il fait semblant de charger, en claquant des mâchoires. Trop tard pour fuir. Soit le glandu appelle son abruti de chien, soit je l'affronte.
— Allez gamin, j'ai aucune envie de faire du mal à cette bête.
L'animal grogne, aboie, et l'autre crétin hausse encore les épaules puis lève bien haut le majeur de sa main droite.
— Il attaque que les connards !
— J'en doute, il t'aurais bouffé depuis longtemps !
Et il se marre. Il se plie de rire, ce gland ! Et le chien charge pour de bon. Il choppe ma grolle. Je sens comme un étau se refermer sur ma cheville ; ni une ni deux, je frappe, au cou. Plusieurs fois. Le chien s'affaisse en geignant. Il saigne beaucoup. J'ai le cœur serré. Merde !
Le crétin sort de son hilarité et court dans ma direction. Je suis persuadé qu'il va veiller son animal. Je m'en veux. Au lieu de ça :
— Eh connard, fils de pute, enculé, je vais te matraquer la gueule moi-même, tu sais pas à qui t'as affaire...
Parfois nos réactions nous échappent. Je pourrais éclater de rire, lui coller un pain, ou juste lui tirer l'oreille. Au lieu de ça, je lui plante mon bâton sous le menton, si fort qu'il ressort par le sommet du crâne.

Cette regrettable altercation m'a obligé à creuser un très gros trou. Comme je le disais, même si ce meurtre résulte d'une réponse un peu trop vive de ma part, je ne regrette rien. Certes, en l'évitant, aux yeux de la loi, je serais resté clean. Même si ce crétin avait porté plainte pour la mort du chien, j'aurais sans doute gagné, du fait qu'il s'agissait d'un molosse, non tenu en laisse et ne portant pas de muselière. Mais d'une certaine façon, cet animal n'était qu'un instrument. Ma réaction n'avait rien de juridique !
Selon moi, c'était ce jeune qui m'attaquait, pas l'animal. Cette bête, sans réelle opinion, percluse de névroses provenant sans doute d'un dressage trop dur, trop injuste, ou de je ne sais quelle affection mentale, agissait en parfait accord avec l'état d'esprit de son maître. Et sous son commandement implicite. Bien que cela fît de moi un criminel, j'estimais normal de sanctionner l’agresseur à la même hauteur que son arme.