Il m'en est arrivé une
belle mardi dernier.
Enfin, une belle, c'est
façon de parler, car ma réaction n'a pas été jolie.
Et pourtant, je ne
regrette rien.
Je faisais une marche en
solitaire. Chateau-Chinon, les Brenets, Lavault-de-Fretoy, Denault,
Chaumard ; je revenais en formant une boucle via Corancy. Au
total, 45 bornes à peu près. Une journée peinarde, il faisait
beau. Tranquille.
Dans la Forêt de
l'Oussière, peu après avoir passé la Chapelle de Faubouloin, je
croise un jeune glandu, dont la tête doit peser lourd, puisqu'elle
courbe le haut de son corps comme un poids mort. Son teint d'un blanc
d'aspirine se dévoile peu à peu, constellé par une acné
dégueulasse, concentrée au niveau du front et des pommettes, une
véritable batterie de boutons écarlates, près à vous gicler
dessus ! Ce couillon promène un molosse, un berger allemand.
Le problème, vous le
devinez, c'est que son clébard n'est pas tenu en laisse. Et qu'il ne
porte pas de muselière.
J'adore les chiens, je
dois le préciser. Ce sont des animaux bienveillants, utiles, souvent
plus humains que les hommes. Ce n'est pas la première fois que je
suis confronté à un animal en liberté. Sans me vanter, je sais
gérer. Mon attitude, bienveillante, sans esbroufe, sans mouvements
brusques, me permet de communiquer facilement avec eux. Je les
comprends, ils me comprennent.
De toute ma vie, je n'ai
jamais été mordu.
Le clébard de ce jeune
glandu vient sur moi. En trottinant. Je vois dans son regard une
sorte de voile, comme je n'en ai jamais observé. Je comprends qu'il
n'est pas mentalement équilibré. D'instinct, je lève mon bâton de
marche. C'est un bâton en fibre de verre à pointe métallique,
plutôt solide. Il peut me servir d'arme. Le chien essaie de me
contourner, mais je m'adosse à un arbre. Il s'arrête à un mètre.
Et il grogne, l'enfoiré.
Ses crocs apparaissent.
Jaunes, acérés, baveux...
Je fixe son maître. Le
jeune con ne bouge pas. Son regard torve semble aussi mou que le haut
de son dos. Je crois distinguer un léger sourire.
— Hey, garçon !
Tu peux appeler ton chien ?
Il hausse les épaules.
— Pourquoi faire ?
J'ai immédiatement la
certitude qu'il se fout de ma gueule. Pour posséder un chien, il
faut pouvoir s'en occuper, ce qui rend peu probable l'hypothèse de
l'autisme ou de la débilité. Peut-être est-il un peu simple
d'esprit, mais ce petit sourire... comment dire ? Ce petit
sourire en raconte si long que mon opinion se fixe définitivement :
la situation l'amuse, tout simplement.
Le clébard s'énerve
alors que je ne fais aucun geste. Je renouvelle ma demande, en
augmentant le volume de ma voix, ce qui excite le molosse. Il fait
semblant de charger, en claquant des mâchoires. Trop tard pour fuir.
Soit le glandu appelle son abruti de chien, soit je l'affronte.
— Allez gamin, j'ai
aucune envie de faire du mal à cette bête.
L'animal grogne, aboie,
et l'autre crétin hausse encore les épaules puis lève bien haut le
majeur de sa main droite.
— Il attaque que les
connards !
— J'en doute, il
t'aurais bouffé depuis longtemps !
Et il se marre. Il se
plie de rire, ce gland ! Et le chien charge pour de bon. Il
choppe ma grolle. Je sens comme un étau se refermer sur ma
cheville ; ni une ni deux, je frappe, au cou. Plusieurs fois. Le
chien s'affaisse en geignant. Il saigne beaucoup. J'ai le cœur
serré. Merde !
Le crétin sort de son
hilarité et court dans ma direction. Je suis persuadé qu'il va
veiller son animal. Je m'en veux. Au lieu de ça :
— Eh connard, fils de
pute, enculé, je vais te matraquer la gueule moi-même, tu sais pas
à qui t'as affaire...
Parfois nos réactions
nous échappent. Je pourrais éclater de rire, lui coller un pain, ou
juste lui tirer l'oreille. Au lieu de ça, je lui plante mon bâton
sous le menton, si fort qu'il ressort par le sommet du crâne.
Cette regrettable
altercation m'a obligé à creuser un très gros trou. Comme je le
disais, même si ce meurtre résulte d'une réponse un peu trop vive
de ma part, je ne regrette rien. Certes, en l'évitant, aux yeux de
la loi, je serais resté clean. Même si ce crétin avait porté
plainte pour la mort du chien, j'aurais sans doute gagné, du fait
qu'il s'agissait d'un molosse, non tenu en laisse et ne portant pas
de muselière. Mais d'une certaine façon, cet animal n'était qu'un
instrument. Ma réaction n'avait rien de juridique !
Selon moi, c'était ce
jeune qui m'attaquait, pas l'animal. Cette bête, sans réelle
opinion, percluse de névroses provenant sans doute d'un dressage
trop dur, trop injuste, ou de je ne sais quelle affection mentale,
agissait en parfait accord avec l'état d'esprit de son maître. Et
sous son commandement implicite. Bien que cela fît de moi un
criminel, j'estimais normal de sanctionner l’agresseur à la même
hauteur que son arme.
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