lundi 14 décembre 2020

Lombric

 


Oh ! Je vois vos croyances, votre spiritualité, votre ferveur, s'écouler le long de vos visages en d'épais filets gluants et fétides, j'en inspire l'odeur infecte, et elle ne me trompe pas, je sais ce que vous êtes, je connais votre infamie, votre hypocrisie, jamais rien ne pourra vous racheter. Oh, vous n'aviez pas le choix... c'est vrai, combien de fois l'avez-vous répété ?

Il m'a avalé, ce gros tas de graisse, oh, oui ! Quelle belle action ! C'était nécessaire, pour la sauvegarde de la communauté. L'intérêt général prévaut. Dommage que vous n’ayez pas assisté à la scène, vos larmes auraient été plus sincères. Car je les imagine, vos effusions, sèches et cassantes comme vos cœurs. Une fois disparue au fond du gouffre, vous vous êtes aussitôt détournés, et vous m'avez oubliée, ne vous souciant à aucun instant des souffrances que j'allais endurer. Et j'en ai endurées, vous pouvez me croire. Les dents de cette pourriture m'ont déchiré la peau sans me tuer. Je me suis fondue dans les sucs gastriques, lentement, longuement, cela vous plaît de l'entendre ? Vous sentez vos âmes soulevées d'exaltation religieuse à l’énoncé de ce supplice ?

Mais la souffrance, la terreur, l'impuissance ne sont rien comparées au sentiment de trahison. Comment avez-vous pu faire ça ? Comment avez-vous pu me faire ça ? La honte aurait dû vous terrasser sur-le-champ, mais il est vrai que soutenus par vos semblables, vous vous sentiez portés par le sens du devoir. Bande de lâches, bande de menteurs ! Je vous maudis. Ma rage et ma haine ont atteint un niveau incommensurable. Je devrais peut-être vous remercier pour cela. Car de victime, je suis devenue bourreau. Cette mort promise, je l'ai déjouée. Mes dernières forces, gonflées par la certitude de j'aurais ma revanche en cas de succès, que je pourrais alors me venger de vous – ma plus grande motivation, soyez-en sûrs – m'ont poussées à me redresser, au sein des entrailles de cette bête affreuse et pestilentielle. J'ai lacéré sa chair de mes ongles, de l'ai mordue, mastiquée, faisant fi de son goût de purin, qu'aurait-elle pu faire pour se défendre ? Animée par la douleur, la détresse, la rage, j'ai dévasté ses entrailles, je les ai dévorées, et j'ai grossi. Je me suis gavé de sa graisse lugubre, gagnant à chaque bouchée plus de volume, plus de force.

Je l'ai absorbé, intégralement. Maintenant, j'ai pris sa place. C'est moi le Dieu ! C'est moi que vous devez vénérer !

Je ne suis pas dupe de vos motivations. Cela fait des années que les récoltes déclinent, ce prétexte, issu d'un folklore imbécile et de traditions ineptes vous a servi d'excuse afin de vous débarrasser de moi, car je vous coûtait trop cher.

Ma puissance actuelle surpasse de loin celle de mon prédécesseur.

Je suis prête à épargner ce village maudit, je vous l'assure. Pour cela, je n'ai qu'une seule exigence, et je présume que la « communauté » ne pourra me la refuser, car elle de la plus haute valeur mystique !

Je ne demande que votre sacrifice, papa, maman...