mercredi 29 juillet 2020

Échoué

« Bon, j'en ai marre, je m'en vais ! »

Depuis le crash, en tout cas, depuis que sa patience approchait du zéro absolu, Paolus Maudoué se répétait cette phrase au moins cent fois par jour. L'espoir d'être secouru se peignait de gris, barbouillé par les teintes vomitives de l'ennui et du désarroi. Une colère sourde contractait ses muscles, et le poussait parfois à hurler à s'en arracher la plèvre. Si personne ne venait l'aider, qu'au moins un dieu puisse entendre sa rage ! La balise de positionnement clignotait toujours. La radio, même si elle ne captait aucun signal, réagissait normalement. Rien n'expliquait ce silence, on l'ignorait, voilà tout ! On le sacrifiait. Cela coûterait trop cher d'aller le repêcher !

Saleté de guerre ! Pourriture d'état major !

Un œil extérieur pourrait arguer qu'il avait eu de la chance en son malheur ; il aurait pu exploser contre un météore, ou errer à l'infini, ou encore atterrir sur une planète morte. Ici, au moins, il pouvait survivre, et même de façon agréable car le climat s'avérait clément, de type « tropical. » Il pleuvait rarement, mais on devinait de nombreuses intempéries venant d'une chaîne de montagne, visible des points les plus élevés de la forêt.

Une nourriture végétale de fruits ou de racine abondait autour de lui. Était-ce suffisant ?

Un choix s'imposait. Demeurer sur place et renforcer son campement ou risquer de partir à l'aventure...

À trente-deux ans, il ne pouvait se résoudre à vivre seul en terre inconnue. La mort lui semblait préférable. La seconde option remportait tous les suffrages, encore fallait-il trouver la motivation. Son équipement était adapté à une longue randonnée : vêtements amples et solides, bottes renforcées et plombées, très lourdes, mais assurant aux pieds une protection sans faille, un sac à dos rempli d'ustensiles, un sac de couchage étanche, un moyen de télécommunication et un pistolet laser chargé à bloc en cas de mauvaise rencontre. Sa peau d'ébène lui permettait de surcroît de supporter le soleil.

Les insomnies succédant aux périodes de colère et d'abattement, il se résolut enfin à partir. Un bâton au bout duquel il avait fixé un long poignard lui servit de faux pour avancer au sein de la jungle. Après des heures de marche, le long du ruisseau qu'il refusait de perdre de vue, le terrain accusa une nette descente.

Les cascades se succédèrent, magnifiques, plongeant au fin fond de la forêt. Il descendit à travers bois en manquant de glisser et de s'effondrer. Épuisé, il arriva enfin en terrain stable. Le cours d'eau retrouva sa quiétude. La végétation se fit moins dense.

C'est alors qu'une créature attira son attention. Glabre, à la peau d'un brun rosâtre, elle lui évoqua une grosse limace, de la taille d'un cobaye. À la différence, qu'elle arborait une sorte de visage avec deux yeux ronds sans iris, et une gueule hérissé de crocs. Bien qu'il n'y ait aucune menace, il recula d'un pas, et vit qu'il y en avait d'autres qui approchaient, sortant des fourrés.

Sa main se referma sur la crosse de son arme. Il s'écarta de sa route afin de contourner cet inquiétant comité d'accueil. Les bestioles ne le quittèrent pas du regard, sans bouger pour autant. Voyant le chemin libre, il se rua en avant.

Des bruits de pas se firent aussitôt entendre derrière lui. Les créatures s'élançaient à sa poursuite, se propulsant en l'air tels des élastiques. La terreur apporta une dose d'adrénaline bienvenue à ses muscles fatigués. Mais d'autres bêtes venaient de face. Paolus se résolut à user de son pistolet. Il s'immobilisa, posa genou à terre, et visa. Les bestioles s'effondrèrent autour de lui, cuites par le laser. Après avoir goûté un morceau, il en conclut que même si ce n'était pas terrible, cela constituerait une bonne source de protéines. Il accrocha les cadavres à sa ceinture et poursuivit sa route. La jungle laissa place à une toundra éparse, et à des champs de plantes alignées en sillons, sans doute cultivés. Il s'engagea sur un sentier de cailloux, qui n'avait rien de naturel.

Le bonheur de retrouver un semblant de civilisation, quel qu'il soit, emplissait son cœur d'enthousiasme. Des habitations à hauteur d'homme, voire plus grandes, apparurent à l'horizon. Elles s'organisaient en formant un village, semblable à ce qu'on aurait pu trouver aux temps médiévaux sur la planète mère. Ses jambes ne faiblissaient pas.

Il surgit sur la place principale. Des dizaines d'humanoïdes s'affairaient à des activités rudimentaires. Certains déposaient des caisses et des bidons à l'intérieur d'une remorque. D'autres tannaient des peaux. D'autres encore remplissaient des seaux en faisant jaillir l'eau d'un puits, lavaient des linges et des étals de bois. Ces activités furent brutalement interrompues par son intrusion.

Des dizaines d'yeux globuleux se posèrent sur lui, réduisant à néant sa joie. Car même si elles étaient munies de bras, elles arboraient une jambe unique, courbée à l'extrémité. D'horribles crocs saillaient de leur gueule.

Les regards obliquèrent vers sa ceinture.