samedi 30 septembre 2017

Péril glauque...

La stagiaire finissait de déglutir avec une grimace de dégoût lorsque les premières bombes apparurent sur l'écran radar. Représentées par des points rouges, elles décrivirent une courbe gracieuse vers les lignes vertes délimitant la Corée du Nord.
Le président des Etats-Unis d'Amérique reboutonna son pantalon avec un sourire carnassier. Enfin, ce foutu pays de jaunes à la con allait subir le courroux impérial des United States ! Et ce merdeux de Kim « chaipasquoi » finirait comme ces autres tarés, Saddam Hussein, Ben Laden, au fond d'un trou de glaise dégueulasse !
La flotte se découpait sur fond noir en des dizaines d'ovales, qui encerclaient la misérable presqu'île, dont la forme lui évoquait un pénis rabougri par le froid. Il ricana intérieurement, sûr de sa puissance et de sa sécurité.
Son QG flottant mouillait très en retrait, près des côtés de l'île de Guam. En cas de riposte, les anti-missiles feraient le boulot ! Outre le radar, certes jouissif mais un peu austère, deux écrans géants proposaient des vues plongeantes sur les terres de ce maudit pays. Les impacts furent discrets, au début. De brèves lumières, puis un peu de fumée. Ensuite, les dégâts, les bâtiments qui s'effondrent, creusant de profonds cratères.
Aucune ogive n'était nucléaire, il s'agissait d'une salve ferme d'autorité.
Donald Trump pressa le bouton de son téléphone.
— Alors, général, quelle réaction ?
— Aucune, monsieur le président. Pas la moindre défense ou riposte.
Le robuste chef de la première puissance militaire du monde riait cette fois ouvertement. Ce minable coréen n'avait même pas assez de couilles pour ne serait-ce qu'essayer de résister! Dommage. Il aurait aimé davantage d'action !
— Préparez le feu nucléaire !
Pas question de reculer. Cette immobilité était destinée à l'endormir. Il était venu pour fumer ce pays, il allait le fumer.
— Etes-vous sûr, président ? La Chine et la Corée du Sud risquent de ne pas apprécier...
— Epargnez-moi vos jérémiades ! S'ils ne sont pas contents, je les réduits en poussière, eux aussi !
Le protocole enfin respecté, ou presque, le chef d'état ordonna le tir d'une dizaine d'ogives, toutes à destination du cœur du pays. Les objectifs des caméras satellites zoomèrent sur les lieux promis à extinction.
Trump sentit un frémissement au niveau des bourses. Il se leva et se posta devant la stagiaire, qui compris aussitôt où il voulait en venir. Sur le radar, les dix points rouges approchaient de leur destination. Le moment tant attendu était imminent. Le souffle tiède de Selena frôla sa chair. Elle le caressa du bout de la langue. Les bombes percutèrent le sol.
Et sur les écrans, aucune explosion ; tout au plus un séisme. Trump délaissa la stagiaire et s'approcha des images diffusées en temps réel. Les infrastructures s'effritaient, des fissures se formaient, entraînant les gravats dans les profondeurs. Les ogives semblaient absorbée – avalées ? - par la terre coréenne. Et comme pour confirmer cette folie, des excroissances étranges jaillirent des éboulements, longues et caoutchouteuses, semblables à des tentacules. La vision trop rapprochée empêcha d'en voir davantage.
Le président des Etats-Unis d'Amérique courut à son interphone, les jambes entravées par le pantalon défait, et demanda :
— D'où vient ce bordel ? Reculez le zoom, on ne voit rien !
L'image prit du recul, et ce que vit Trump le plongea dans un état de contrariété avancée. Comment ce putain d'enfoiré de bouffeur de riz avait-il fait ?
L'ensemble du pays autrefois nommé Corée du Nord se détachait de la presqu'île, la transformant de fait en île, et s'allongea, étrangement, telle une entité vivante, en exhibant des milliers de bras tentaculaires. Les conséquences de cette incroyable mutation furent violentes.
Sur l'écran radar, les ovales de la flotte américaine disparurent l'un après l'autre. Le téléphone sonna. Trump pressa le bouton de réception :
— Président, c'est... c'est impossible. Nos croiseurs, nos destroyers, nos porte-avions... ils sont balayés par des... bras à ventouse. Un vrai désastre !
Il coupa la communication. Ainsi, cette salope de jaune avait atteint un stade de technologie encore supérieur au nucléaire... qu'à cela ne tienne...
Deux généraux pénétrèrent dans le bureau. Ils firent mine de ne pas remarquer son accoutrement.
— Président, notre flotte est mise à sac ! La Corée semble... enfin... Elle a fui le continent pour évoluer de façon indépendante. C'est incompréhensible ! Quelles sont vos instructions ?
La réponse ne franchit jamais ses lèvres.
La flèche d'un harpon transperça le premier général, un lancer de couteau percuta le crâne du second. Les deux hommes tombèrent au sol, dévoilant un intrus à l'apparence ridicule.
Petit, replet, moulé dans une combinaison de plongée, il s'avança vers Trump, d'un pas chaloupé, rendu grotesque par les palmes qu'il chaussait, le sourire aux lèvres.
— Est-ce ainsi que l'on reçoit un chef d'état ? persifla Kim Jong-un.
Le président américain se présenta devant son ennemi juré, en exposant sans vergogne son membre en objection.
— C'est la meilleure manière ! Fais-moi voir ce que tu as dans le slibard, petite larve !
Le dictateur s'exécuta volontiers. Il baissa son collant en néoprène et dévoila un sexe atrophié et minuscule.
Trump ricana. Puis son ricanement cessa soudain. Sortant du scrotum, un organe secondaire s'éleva, portant le pénis du coréen à des proportions impossibles. Un véritable bras s'érigea devant lui, jusqu'à auteur de visage.
— Je vais t'apprendre à me défier, menaça Trump.
— Je n'ai besoin d'aucune leçon, contra Jong-un.
Le coréen arracha le reste de sa tenue, et entama une affreuse mutation. Ses bras s'allongèrent démesurément, ses jambes s'arquèrent, devinrent molles, et se transformèrent en tentacules. Son torse gonfla, gagna en volume, atteignant des proportions insensées. Il emplit bientôt un tiers de la salle, laissant frétiller des excroissances caoutchouteuses autour de lui. L'ignoble créature poussa un cri strident, sorte de souffle hivernal empli de haine.
La stagiaire perdit connaissance. À contrario, le président américain observa la transformation, fasciné. Cette enflure de jaune avait frayé avec les puissances ancestrales ! Le pays tout entier avait rejoint les shoggoths, il s'agissait d'une réussite impressionnante.
Pourtant, devant la créature fantastique qui s'avançait vers lui, agitant ses membres épais tels des fouets prêts à le lacérer, le président américain gardait son calme.
Trump se mit à fulminer. De la bave s'échappa de sa mâchoire prognathe. Ils se mit à gonfler et à déployer des centaines de protubérances tentaculaires. Une gueule monumentale s'extirpa de cette masse de chair en mutation, et dévoila d'énormes crocs, prêts à déchiqueter les viandes...
Les deux entités se ruèrent l'une sur l'autre. S'ensuivit un combat que nul témoin ne put retranscrire. La petite Selena dormait d'un sommeil profond et agité de cauchemars...
Certains habitant de l'île de Guam prétendirent qu'une forme affreuse avait été expulsée à travers ciel, pour être bannie hors de notre planète, d'autres affirmèrent qu'un objet non identifié avait sombré dans les profondeurs de la mer des Philippines, si loin que nul ne put assister à son point de chute.
Officiellement, les deux créatures s'annihilèrent, et disparurent de la surface de notre monde.

Pourtant, chacun savait que tapi dans les entrailles de la mer, ou de l'espace, les grands cons de l'univers sommeillaient, prêts à revenir à la première occasion...

samedi 3 juin 2017

From outer space

Nous nous écrasâmes sur Terre, Emmy et moi, en plein jour, au nez et la barbe de tous les radars. Notre capsule fendit le ciel par un temps splendide, au-dessus d'un paysage idyllique qui, sur le moment, nous indifférait totalement. Seule nous importait la violence de l'impact. Elle fut brutale, et c'est peu dire. La carlingue fut liquéfiée, ratiboisée. Notre habitacle résista, mais vu la température, je savais que nous devrions en sortir au plus vite. J’empoignai ma sœur à bras le corps pour la projeter hors de la cabine. Elle fut épargnée. Pas moi. L'explosion me souffla de plein fouet. Je fus expulsé sur près d'une centaine de mètres, gravement brûlé. La douleur, je pouvais gérer, c'était facile. Après plusieurs décennies à creuser dans la roche avec mes mains, au fond d'une mine, je m'étais endurci. Par contre, je n'avais jamais eu à subir de handicap durable, et visible. Ces brûlures m'avaient ravagé. J'étais devenu pour les autochtones de cette planète, d'une laideur repoussante. Même pour Emmy, ce qui était bien plus traumatisant. J'aurais aimé lui paraître agréable, voir dans ses yeux, lors de nos rencontres, un peu d'affection. Avec ce faciès d'épouvante, cela relevait de l'impossible. Même avec la meilleure volonté, elle ne pouvait plus m'approcher comme autrefois. C'était au-dessus de ses forces, et je le comprenais.
Les anciens avaient vu juste. Ces terriens nous ressemblaient. En interne, nous possédions deux cœurs, trois cerveaux, quatre reins, huit poumons, toutefois d'apparence, n'ayant pas d'excroissance ou d'organe saillant, nous pouvions nous fondre parmi la population.
Emmy fut très vite acceptée par les habitants du bourg où nous trouvâmes refuge. Plutôt jolie, elle fit l'unanimité, surtout du côté des mâles... tandis que moi, j'inspirais le dégoût, et souvent la peur. J'étais grand et puissant, mes mains ressemblaient à des haches, j'aurais dû plaire ; au lieu de cela, d'aucuns voyaient en moi une menace, à cause de ce visage détruit.
Je m'attendais au rejet en arrivant ici. Nos pairs nous avaient prévenu. J'enrageais de devoir le subir à cause de ma « sale gueule » plutôt que de ma nature extraterrestre. J'aurais pu échapper à cette explosion, si je n'avais pas perdu du temps...
Je jalousais Emmy. Elle avait vite trouvé un compagnon, et s'était installée à la campagne dans une belle maison. Pour ma part, sans travail, sans amis, sans amours, j'errais dans les rues, épié par des passants méfiants ou hostiles.

Quitter cette planète n'est plus possible. Je savais dès le départ que le voyage serait un aller simple.
Cette nouvelle vie aurait pu me sourire, je n'ai pas eu de chance. Qu'à cela ne tienne ! J'ai pris ma décision.
Je suis parti en Angola. Ici, il existe encore des mines de diamant.

Je possède certaines compétences, alors foutu pour foutu, autant ne pas les perdre...

vendredi 28 avril 2017

Marche et crève

Oh non ! Vacherie !
Le sol avait pourtant l'air solide. Mon pied s'est enfoncé jusqu'à la cheville. Un véritable sable mouvant. Saloperie ! Je tire un coup sec, et un remugle nauséeux me saute au nez. C'est tellement dégueulasse que je me précipite à l'écart, dans la forêt, pour ne plus le respirer. Ma godasse est couverte d'une substance brune et jaune. C'est quoi ce truc ? Un mélange d'argile et de boue ? En tout cas, ça schlingue sévère !
Je m'aide de la végétation pour m'en débarrasser. Bon, ça ira. Plus qu'une heure avant le retour au bercail. J'ai hâte d'en finir.
Un peu d'humidité s'est infiltrée, mais ça va aller. Je reprends ma route.
Et puis non. Ça ne va pas. Je ne saurai dire ce qui se passe. Une sensation de brûlure au bout du pied gauche. Je regarde ma grolle, elle a l'air normale. Une ampoule sans doute. Manquait plus que ça !
Allez, je ralentis un peu, inutile de faire du zèle.
La sensation ne s'estompe pas. Elle s'aggrave, même.
Je suis obligé de m'arrêter. Je m'assois sur un tronc couvert de mousse, et j'observe la chaussure. Elle semble en bon état vue de dessus, mais de profil, le caoutchouc est attaqué, et le tissu s'est désagrégé. L'étanchéité est foutue !
Bordel ! Une paire à 200 boules !
Je prends peur. Je délasse, libère mon pied. C'est pire que ce que j'imaginais. La chaussette est fondue. Mes orteils sont à nu, et leur couleur orangée m'inquiète beaucoup. Les ongles ont noirci ; ils exhalent une odeur de pourriture infecte. Merde !
Je retire cette frippe déchiquetée. Trop vite. L'épiderme de la plante du pied vient avec. Je le sens se détacher. Une sensation de froid caractéristique de l'écorchement m'alerte trop tard. J'ai le dessous du panard à vif. Pour le moment ce n'est pas douloureux, mais dès que je vais y toucher...
Bon sang ! Mon pouce a gonflé. Une mousse orangée suinte sous l'ongle. Quand j'appuie sur l'extrémité gonflée à bloc, elle déborde à gros bouillon. C'est normal, ça ? J'ai pas l'impression. Et la corne se soulève d'une manière anormale après chaque pression. Elle n'adhère plus à la peau. Purée, tous mes orteils se dénudent ! Un haut le cœur me pétrifie ? J'ai les doigts englués dans ce pus malodorant. Faut que je nettoie cette merde !
Je débouchonne ma bouteille, difficilement. Mon cœur bat à se rompre, mes geste sont lourds et imprécis. Je renverse la moitié de mes réserves avant d'atteindre le pied. Un ongle se détache, celui du pouce. Je le vois tomber dans les fourrés, suivi bientôt par un autre. Je comprends trop tard que le remède est pire que le mal. L'eau agit comme un adjuvant. Elle favorise la corrosion au lieu de l'interrompre. Je vois sous mes yeux mon panard se désintégrer !
Le liquide coule sur la chair. L'orange se dilue, l'odeur s'estompe, mais je vois apparaître du rouge. Il n'y a plus de peau.
Les derniers vestiges d'épiderme ruissellent jusqu'au talon. Puis s'écoulent en une masse gélatineuse. La chair à vif se liquéfie à son tour, perd toute consistance, jusqu'à laisser apparaître l'os. Les lambeaux se détachent et pendent comme de vieux rideaux, avant de sombrer en une masse spongieuse. Les senteurs de pourriture reviennent, chargées de celle du sang. L'effet de l'acide ne s'arrête pas. Un os tombe. Puis un autre. Je ne tiens plus. Il me faut de l'aide.
J'enlève mon T-shirt. Il est un peu humide, mais je n'ai que ça. J'enroule mon pied dedans. La douleur me fait vaciller. Ma tête tourne, mais la terreur m'octroie des forces insoupçonnées. J'attache le tout comme je peux, et je repars. Une route passe à proximité.
En claudiquant, aidé de mon bâton, j'avance assez vite. J'y serai bientôt.
Oh non ! Mon pied blessé a heurté un rocher. Je trébuche. Un craquement se produit. Une douleur atroce me déchire la jambe. Je tombe. Quelle horreur ! Des pointes d'os ont crevé mon pantalon, juste au dessus de mon bandage de fortune. Je hurle, je rampe.
Enfin la route. Une voiture approche. Je suis allongé sur le bas-côté, le conducteur me verra forcément. Non. La première passe, pas de frein. Une deuxième également. Mes espoirs s'atténuent, mon attention se focalise alors sur la souffrance. Ma jambe est en feu. Quelque chose coule de la fracture, une sorte d'humeur fétide.
Je suis sur le point de m'endormir lorsque j'entends enfin un moteur au ralenti. Deux personnes s'approchent. Je n'ai pas la force de les supplier.
- Hum... dis voir, ce serait pas le touriste d'hier ?
- Ouais, celui qui s'était plaint d'être chahuté par mon rottweiler. Sois disant faut lui mettre une muselière.
- Il a l'air mal au point, et c'est pas à cause du clébard.
- T'as raison ! Je crois plutôt que le monsieur a mis les pieds là où faut pas les mettre.
- On a peut-être enterré des trucs pas clairs dans la forêt. Mais le maire est au courant. C'est en quelque sorte « officiel »...
- Oui, si on veut. Le problème, c'est que ça doit pas être rendu public, c't'affaire.
Qu'est-ce qu'ils disent ? J'ai du mal à comprendre. Ma cuisse semble attaquée à son tour.
- On va juste te traîner dans la mare, là-bas. C'est pas méchant, une petite baignade...


dimanche 19 mars 2017

Chloé

Je l'aime ma Chloé.
Cela fait trois ans que nous ne vivons plus ensemble – pensez-vous, elle voulait un enfant ! - mais elle est toujours là pour moi. A toute heure de la journée, et même de la nuit, je peux lui rendre visite, sa porte est toujours ouverte. C'est bien pratique par temps de vaches maigres. J'ai du succès avec les femmes, mais que voulez-vous, parfois, certaines se font désirer. Elles appellent ça rester dignes. Drôle d'idée. Moi, je m'en fiche, j'ai ma Chloé !
Quand je l'ai appelée à trois heures du matin pour m'aider à découper les corps, elle a été un peu dubitative.
- De quoi ?
- Les corps, Chloé. Découper les corps !
- Pour quoi faire ?
Elle est jolie, mais pas très futée, ma Chloé.
- Éliminer les preuves.
- Ah...
Elle est venue, et elle m'a aidé du mieux qu'elle a pu. Surtout pour éponger car il y en avait, du sang. Une vraie fontaine ! Un couple et deux adolescents, ça chiffre dans les vingt litres ! Au moins !
- Pourquoi tu les as tués ?
Elle m'a demandé ça après avoir rempli le sixième sac. Elle est un peu à retardement, ma Chloé.
- Pour l'or. Tu sais, la petite caisse héritée de ton grand-père.
- Ah...
Pendant qu'on roulait en direction de la forêt, elle m'a posé une autre question :
- Tu ne pouvais pas la prendre et partir avec, sans tuer personne ?
- Si je l'avais trouvée, j'aurais sans doute fait ça. Le problème, c'est que ton crétin de neveu m'est tombé dessus dans la cave. Il a menacé d'appeler les flics. Il a réveillé tout le monde. Bref. C'était la merde, j'ai dû improviser. Et bien entendu, je n'ai pas mis la main sur l'or. Ils ont dû le cacher ailleurs.
- Ah...
Elle avait l'air contrarié. Et comme pour confirmer mes craintes, elle a ajouté.
- Je l'aimais bien, mon frère.
J'ai posé ma main sur la sienne pour la consoler. Nous avons échangé un regard. La tendresse se lisait dans ses yeux. Une fois stationnés sur un chemin forestier, nous nous sommes embrassés. Manque de place, manque de temps, j'ai déboutonné la fermeture de mon pantalon et ai offert à sa bouche l'objet de notre désir mutuel. Elle aimait bien ça, ma Chloé. Elle me disait souvent que j'avais bon goût !
Ensuite, nous avons creusé, enfin surtout elle. Avec ma scoliose, je dois me ménager. Nous avons déposé les sacs dans les tombes improvisées, j'ai tout incendié à l'essence. Ensuite, nous avons recouvert le brasier. Ni vu, ni connu.
Je l'ai raccompagnée chez elle. Elle m'a proposé de rester, mais compte tenu des circonstances, j'ai préféré décliner l'invitation. Je lui ai promis de la rappeler.
Une fois de retour chez moi, j'ai compté les pièces. Il y en avait moins que prévu, mais le revendeur au coin de ma rue me les a achetées sans poser de questions. C'était suffisant pour me tirer de ce pays, et à tout jamais.

La police a inculpé Chloé peu de temps après mon arrivée à Singapour. Dommage, mais c'est de sa faute. Elle n'avait qu'à mieux nettoyer !  

dimanche 5 février 2017

Quelle poisse !

Ce gamin se montre récalcitrant. Cette conversation va tourner au vinaigre et d'ailleurs peut-on appeler cet échange une conversation ?
  • Salut petit, j'adore tes chaussures.
  • Et alors ?
  • On échange ?
Le regard du gamin passe de l'amusement à la colère en un quart de seconde, devant je suppose, le sérieux de ma requête.
Il reprend sa route, et je le poursuis, bien entendu. Des Nike Air jaune fluo sur le dessus et rose sur les flancs et le talon. La classe pour courir ! Impossible de ne pas attirer les regards. Il me faut ces shoes !
Moi avec mes Asics blanches, j'ai l'air d'un plouc. Sérieux, si je croise une pépé, affublé de telles godasses, je peux me rhabiller pour tenter une approche. L'habit fait le moine, et basket minable suppose joggeur minable. Ça fait un moment que je me fais cette réflexion, je me suis trop fié au prix lors des soldes, et là, devant les merveilles de ce gamin - de quoi ? Dix-sept, dix-huit ans ? - je réalise que j'aurais dû choisir ce modèle. Ok, les magasins de sport en proposent toute l'année, j'ai les moyens, pas la peine d'attendre une promo mais en ce moment, je cours en forêt, pas dans un magasin de sport ! C'est maintenant que l'occasion se présente, c'est maintenant que je dois agir. Pas la peine de tergiverser. Je proposerai bien de l'argent, seulement je cours léger. Je n'ai même pas de téléphone sur moi. Lui non plus, apparemment. À moins que...
Je le saisis par l'épaule, il se dégage avec agressivité :
  • Hey, ça va pas ! Faut vous soigner !
  • Attends ! Tes chaussures me plaisent vraiment !
  • Z'avez qu'à vous acheter les mêmes !
  • Réfléchis, tu vas y trouver ton compte.
Intrigué, il se calme un peu. Regarde à gauche à droite, derrière... J'en profite :
  • Ok, mes pompes ne sont pas terribles. Mais je peux te donner du fric. Tu as raison sur un point, je pourrais en trouver dans un magasin, mais je suis un sanguin, une envie est une envie. Je veux bien les payer deux fois le prix si tu me les file maintenant.
  • Du fric ? Ici ? Vous êtes en legging, vos poches sont vides !
  • Pas faux ! Je te passe mon numéro de mobile. À ton retour, tu me recontactes et nous convenons d'un rendez-vous. Ne crains rien. Je suis sincère, je ne vais pas t'arnaquer.
Il secoue la tête négativement, c'est pas bon du tout !
  • Allez consulter, vous êtes malade !
Et il reprend sa course.
Quelle poisse !
Je me rue sur lui, le plaque au sol. Il se met à hurler, j'appuie son visage contre la terre du chemin. Je frappe sur sa nuque. Lui fait une clé de bras, pour étouffer ses cris. Nous roulons jusque dans le sous-bois. Il est coriace, mais je le tiens bien. Je le relâche. Il ne bouge plus. Son regard reste figé dans le néant. J'ai serré trop fort, trop longtemps. Voilà ce qui arrive quand on refuse une proposition honnête !
Cela me contrarie. Je ne lui voulais aucun mal, vraiment. Si quelqu'un passe à ce moment, je vais être désigné coupable, sans élément probant prouvant la nature accidentelle du décès. Je me dépêche. La droite en premier.
Bordel ! Je n'avais pas remarqué ce détail. Ce gosse possède des pieds de géant ! Il fait quatre tailles au-dessus de la mienne ! Le sort s'acharne. Je remets tout en place. De cette façon, les flics ne comprendront pas le motif.
Allez, je file.
Heureusement, je suis loin de chez moi.
Parti au cœur du Morvan pour me ressourcer, sur les conseils de mon psy, je n'ai prévenu personne et ai payé mon hôtel en liquide dans le plus parfait anonymat. Ok, de nos jours, nul ne passe totalement inaperçu, les caméras de vidéosurveillance sont légions, mais c'est tout de même plus sécurisant. Je suis très prévoyant. De surcroît, je n'ai de compte à rendre à personne, vivant seul sans enfants.

D'ailleurs, je me demande bien pourquoi un mec sérieux comme moi, qui entretient son corps trois fois par semaine, ne trouve pas chaussure à son pied !