Ce gamin se montre récalcitrant. Cette conversation va tourner au vinaigre et d'ailleurs peut-on appeler cet
échange une conversation ?
- Salut petit, j'adore tes chaussures.
- Et alors ?
- On échange ?
Le regard du gamin passe de l'amusement
à la colère en un quart de seconde, devant je suppose, le sérieux
de ma requête.
Il reprend sa route, et je le poursuis,
bien entendu. Des Nike Air jaune fluo sur le dessus et rose sur les
flancs et le talon. La classe pour courir ! Impossible de ne pas
attirer les regards. Il me faut ces shoes !
Moi avec mes Asics blanches, j'ai l'air
d'un plouc. Sérieux, si je croise une pépé, affublé de telles
godasses, je peux me rhabiller pour tenter une approche. L'habit fait
le moine, et basket minable suppose joggeur minable. Ça fait un
moment que je me fais cette réflexion, je me suis trop fié au prix
lors des soldes, et là, devant les merveilles de ce gamin - de quoi
? Dix-sept, dix-huit ans ? - je réalise que j'aurais dû choisir ce
modèle. Ok, les magasins de sport en proposent toute l'année, j'ai
les moyens, pas la peine d'attendre une promo mais en ce moment, je
cours en forêt, pas dans un magasin de sport ! C'est maintenant
que l'occasion se présente, c'est maintenant que je dois agir. Pas
la peine de tergiverser. Je proposerai bien de l'argent, seulement je
cours léger. Je n'ai même pas de téléphone sur moi. Lui non plus,
apparemment. À moins que...
Je le saisis par l'épaule, il se
dégage avec agressivité :
- Hey, ça va pas ! Faut vous soigner !
- Attends ! Tes chaussures me plaisent vraiment !
- Z'avez qu'à vous acheter les mêmes !
- Réfléchis, tu vas y trouver ton compte.
Intrigué, il se calme un peu. Regarde
à gauche à droite, derrière... J'en profite :
- Ok, mes pompes ne sont pas terribles. Mais je peux te donner du fric. Tu as raison sur un point, je pourrais en trouver dans un magasin, mais je suis un sanguin, une envie est une envie. Je veux bien les payer deux fois le prix si tu me les file maintenant.
- Du fric ? Ici ? Vous êtes en legging, vos poches sont vides !
- Pas faux ! Je te passe mon numéro de mobile. À ton retour, tu me recontactes et nous convenons d'un rendez-vous. Ne crains rien. Je suis sincère, je ne vais pas t'arnaquer.
Il secoue la tête négativement, c'est
pas bon du tout !
- Allez consulter, vous êtes malade !
Et il reprend sa course.
Quelle poisse !
Je me rue sur lui, le plaque au sol. Il
se met à hurler, j'appuie son visage contre la terre du chemin. Je
frappe sur sa nuque. Lui fait une clé de bras, pour étouffer ses
cris. Nous roulons jusque dans le sous-bois. Il est coriace, mais je
le tiens bien. Je le relâche. Il ne bouge plus. Son regard reste
figé dans le néant. J'ai serré trop fort, trop longtemps. Voilà
ce qui arrive quand on refuse une proposition honnête !
Cela me contrarie. Je ne lui voulais
aucun mal, vraiment. Si quelqu'un passe à ce moment, je vais être
désigné coupable, sans élément probant prouvant la nature
accidentelle du décès. Je me dépêche. La droite en premier.
Bordel ! Je n'avais pas remarqué
ce détail. Ce gosse possède des pieds de géant ! Il fait
quatre tailles au-dessus de la mienne ! Le sort s'acharne. Je
remets tout en place. De cette façon, les flics ne comprendront pas
le motif.
Allez, je file.
Heureusement, je suis loin de chez moi.
Parti au cœur du Morvan pour me
ressourcer, sur les conseils de mon psy, je n'ai prévenu personne et
ai payé mon hôtel en liquide dans le plus parfait anonymat. Ok, de
nos jours, nul ne passe totalement inaperçu, les caméras de
vidéosurveillance sont légions, mais c'est tout de même plus
sécurisant. Je suis très prévoyant. De surcroît, je n'ai de
compte à rendre à personne, vivant seul sans enfants.
D'ailleurs, je me demande bien pourquoi
un mec sérieux comme moi, qui entretient son corps trois fois par
semaine, ne trouve pas chaussure à son pied !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire