Les bottes de métal claquaient sur les
pavés comme une fanfare sinistre. Les armures déformées
scintillaient sous les rayons du soleil levant. Les hommes éprouvés
marchaient d'un pas lourd. Les visages tirés exprimaient tristesse,
honte, et humiliation. Dans la défaite, ils avaient abandonné tant
de frères.
Les trente-trois survivants pénétrèrent
dans la cour sous les acclamations des femmes, heureuses de voir leur
homme rentrer de la guerre, et sous les pleurs de celles qui
apprenaient leur veuvage. Les enfants se joignaient à elles. Douleur
et joie se mêlaient en des voix discordantes, formant un brouhaha
qui s'éleva jusqu'aux hauteurs du donjon.
Le seigneur entendit ces clameurs et
descendit à la rencontre des survivants.
Ainsi, son chef de guerre avait échoué.
Attaquer une forteresse avec quelques centaines de soldats relevait
du suicide, mais ce jeune capitaine avait su le convaincre. Les
considérations politiques et économiques minaient son esprit.
Qu'adviendrait-il de son honneur et de son siège à la suite de
cette tentative manquée ? Sa réputation allait en souffrir,
son misérable ennemi et ses alliés sauraient lui faire payer
l'affront. Mais pour le moment la plèbe attendait de lui qu'il se
montre digne de son rang. Accueillir ces valeureux combattants ayant
risqué leur vie pour les intérêts de leur seigneur. Leur assurer
de son profond soutien. Leur offrir en récompense une triple solde –
étant donné les pertes, il y gagnerait en consolidant la fidélité
de ces soldats... Les glorifier et les valoriser par un preux
discours.
Tandis qu'il s'avançait pour déclamer
ces louanges, ses promesses et ses offrandes, les regards fatigués
des militaires étouffèrent toute portée épique en son cœur. La
ferveur qu'il souhaitait insuffler à ses paroles s'évapora,
pareille aux volutes d'une haleine par grand froid. Pas un salut, pas
une parole. Une sourde colère habitait ces yeux ravagés de
souffrance. Qu'avaient-ils donc pu vivre pour se retrouver dans un
tel état de choc ? Reprenant contenance, il inspira
profondément et commença à les saluer.
Le premier fer de lance lui coupa la
parole, en passant à travers sa poitrine. Le second l'embrocha par
l'abdomen et un dernier se planta sous son menton. Porté par trois
hommes de haute stature, le souverain fut cloué sur la porte de son
donjon, sous l’œil stupéfait des gardes...