Cette fille avait un visage
très expressif. Son beau sourire creusait sa joue droite d'une
fossette adorable et plissait le coin de ses yeux de petites pattes
de moineaux. Son regard d'un vert de prairie me fixait avec
intermittence. Sa grande sensibilité nimbait de rose ses joues
constellées d'éphélides à la moindre remarque agréable de ma
part. Vraiment ravissante.
Pourtant, elle m'ennuyait.
Aucune conversation. Intérêt futile pour les fleurs, le
maquillage, les vêtements... Tenait des propos très durs sur les
"étrangers". Elle ne cherchait pas à me connaître. Elle
tentait de me séduire par des mimiques adolescentes. Je les avais
trop souvent analysées, elles m'indifféraient.
Son cœur était sec, j'ai
pu m'en rendre compte. Un joli emballage au final trompeur. Je
pensais mon instinct plus fiable. Je dois rester patient, et mieux me
préparer.
Pour ma défense, je suis
encore jeune, n'étant venu au monde qu'hier. Demeuré figé au
centre d'un parc durant plus d'un siècle, après m'être animé, par la
bienveillance de la lune, j'ai dû m'adapter à un environnement
différent des allées fleuries et boisées. Pourtant, je possède de
bonnes bases. Je connais la langue, certaines notions d'histoire et
surtout, j'ai pu contempler de près le comportement humain. Pour les
finances, quelques ponctions dans le public du parc m'ont aidées.
Malgré tout, mon bagage est encore fin, j'en ai conscience.
J'apprends vite, mais mon manque de discernement, avec la rouquine
m'agace beaucoup. Elle semblait être le sujet idéal pour dénicher
l'étincelle dont j'ai besoin. La prochaine sera la bonne, j'en suis
sûr.
Il le faut. Je commence déjà
à avoir des rhumatismes. La lune me l'a assuré, je n'ai que sept
jours devant moi.
J'ai utilisé les moyens
modernes. Les gens m'ont aidé. Mon visage pur et ingénu, ma beauté,
et ma blancheur inspirent confiance. Ils m'offrent le gîte, le
couvert, l'accès à l'informatique. Un site de rencontres m'a permis
de décrire le profil idéal recherché. J'ai soigneusement choisi
les termes : timide, réservée, romantique, naïve, affectueuse,
sensible, docile. J'ai parfois dû en enjoliver certains, jugés trop
péjoratifs par mes guides, sans toutefois dénaturer l'idée.
Je compte sur mon physique
et mon empathie pour conclure rapidement. Je manque de pratique, pas
d'expérience. Plusieurs décennies à observer les couples se
bécoter sur les bancs du parc m'ont familiarisé avec le minaudage.
Chose classique, nous nous
rencontrons au restaurant. Les menus me sont inconnus. Je m'accorde
sur ses choix. La nourriture est délicieuse. Nos conversations
s'orientent par bonheur vers des sujets passionnants. Politique,
religion, elle a l'esprit ouvert et curieux. J'ai bien choisi.
Sa façade physique est
pourtant moins élogieuse que la rousse. Certes, apprêtée avec
élégance, son teint dévoilait néanmoins une grande fatigue
morale. Son regard clair, souligné de mascara, était cerné de
gris. Ses traits lourds s'affaissaient, telles des coulures de
peinture. Même quand elle souriait, ses lèvres pendaient vers le
bas, comme ses joues. Son cou ressemblait à un col roulé trop long
et plissé. Sa voix demeurait agréable. Et pour le reste, elle
correspondait en tout point à la femme idéale.
Elle sortait d'une relation
toxique et conflictuelle. Battue pendant près de dix ans par son
mari, et ensuite par ses enfants, elle reprenait peu à peu le
contrôle de sa vie. Façon de parler, elle cherchait un nouveau
"maître" plus magnanime pour l'y aider. Je voyais clair en
elle. Incapable de se prendre en main, de faire preuve de
discernement, d'être ferme. Elle se laissait conduire, comme moi
avec le menu.
À la fin de la soirée, je
sens de bons présages. Elle semble aux anges.
J'agis sans tarder. Au
détour d'une ruelle, je m'approche d'elle. D'abord hésitante, elle
vient à moi, offerte, éperdue. J'ôte ses vêtements. Elle respire
si fort que ses seins si lourds tendent son soutien-gorge. Je
projette alors mon poing au travers de son sternum. Le pourfend.
Après une brève torsion du poignet, je sors le coeur hors de la
cage thoracique.
L'étincelle est là.
Magnifique. Un amour naissant, parfait.
Je le dévore. La pierre de
mon corps s'abreuve. J'éprouve à présent toute la force de ses
émotions. J'accède enfin à la vie.
Merci à elle - je ne me
souviens plus de son prénom - sa naïveté m'aura permis de
rejoindre le monde passionnant de l'humanité. Si elle savait à quel
bienfait son sacrifice a conduit, elle serait au comble du bonheur,
j'en suis sûr !