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Certains débris se mêlèrent au désordre, un bout de télévision, un cadre avec une photo brûlée à l'intérieur. Puis une chose étonnante, qu'Ali aperçu tandis qu'elle volait, littéralement, dans le ciel noir de fumée, une forme ovoïde, translucide, pure, qui traversa l'espace anéanti de son logis pour se planter à côté de lui. Il tourna la tête et rencontra un visage sali et ensanglanté. Son visage. La surface du miroir, étrangement préservée de la destruction et de la salissure, lui renvoyait son regard. Celui d'un enfant hébété et horrifié.
Il avança sa main déchirée, voulant caresser le verre, comme pour reprendre contact avec quelque chose de préservé et de propre. Sa main traversa la surface, disparut sous l'argent immaculé, où l'image du cauchemar qu'était devenu son abri, se reflétait. Ce phénomène le fascina. Ainsi, l'on pouvait pénétrer les miroirs ? Il existait bien un « autre côté »... Ali se redressa et se glissa entièrement dans l'issue.
Son dos rencontra un sol couvert d'une moquette douce. Un enfant pleurait. Une femme était assise au fond du divan et tentait d'apaiser le bambin. Sa mère. Elle ne portait plus de djellaba, mais un vêtement léger et coloré, à la mode israélienne. Il murmura son nom, s'attendant à souffrir à cause de la poussière qui encombrait ses bronches. Mais la force de sa voix le surprit. Ses mains étaient intactes. Il se leva. L'appartement semblait identique à ce qu'il avait connu, avec des différences notables. Ce n'était pas un logement délabré. Ici, la construction paraissait solide, les murs robustes. Les meubles tenaient bien en place, la grande fenêtre n'était pas lézardée, le canapé, sans être neuf, ne souffrait d'aucune déchirure. Il y avait même une télévision couleur à écran plat.
Pourtant, l'explosion n'en fut pas moins destructrice. Les briques se délitèrent et giclèrent tels une volée d'osselets rouges. La fumée emporta les meubles, les jouets, les bibelots. Sa mère et sa sœur se désagrégèrent sous ses yeux, emportés avec le divan par la tempête d'éclats. Ali vit un bras se détacher du tronc, et l'enfant voler dans les airs, recouvert bientôt d'un nuage de poussière anthracite. Lorsqu'il se dissipa, Ali se trouvait de nouveau étendu au sol, les mains en charpie, un fragment de bois planté à hauteur du plexus. Il avait du mal à respirer. Au milieu des gravats dépassaient une forme ovoïde, à la surface curieusement intacte et propre. Le miroir. Lorsqu'il se tourna de côté, il reconnut son visage, sali et ensanglanté. Son regard le terrifia. Le regard d'un enfant hébété et horrifié.