Les patients ont coutume
de se confier, c'est bien le but d'une thérapie. On écoute, on
note, on comprend, on rassure, on facilite la libération de la
parole, la confiance s'installe, peu à peu, les confidences se font
plus intimes, c'est parfois une souffrance, souvent un soulagement,
c'est ça le boulot du psy, indicible, discret, bienfaisant... il est
rare d'obtenir des aveux. De vrais aveux, pas l'expression d'une
culpabilité, qui n'a aucun remords ? Pas l'expression d'une
contrition, nous pouvons tous être désolé d'une attitude, d'une
parole malheureuse, même anodine. Non, je parle d'un aveu, un vrai,
celui d'un crime.
Mon patient, un jeune
homme de vingt ans, blanc, issu de famille aisée, m'a avoué le meurtre
d'une amie, qui après plusieurs séances s'avéra être une parfaite
inconnue dont il connaissait toutes les habitudes, pour l'avoir
maintes fois observée, épiée, n'hésitant pas à la suivre, à
explorer ses poubelles... Ce jeune avait commis l'irréparable,
l’innommable. Un meurtre. C'était mon premier criminel, et
pourtant, mes patients n'étaient généralement pas sains d'esprit,
et heureusement, à quoi servirais-je, autrement ?
Cela me laissait
perplexe. Confiait-il un fantasme, une envie profonde, un désir
déviant, mythomaniaque ? Non, plus je l'observais, plus j'étais
convaincu de sa sincérité. Ce type avait réellement tué cette
femme. Une jeune de son âge, célibataire, qu'il aurait sans doute
pu séduire s'il avait eu l'âme moins tourmentée. Créer un lien,
voilà le problème. Oui, créer un lien, c'est un désir profond,
désespéré même, pour beaucoup de gens. Quand l'approche
relationnelle est « anormale », viciée par la
désespérance, l'orgueil, et l'imagination, elle peut aboutir à des
actes ignobles, semblables au crime commis par mon patient. J'en
étais troublé et séduit à la fois.
Devais-je le dénoncer
aux autorités ? Cette question m'a bien effleurée. Je l'ai
vite balayée. Je voulais tout savoir, la méthode, le lieu, la
dissimulation du corps, bon sang ! Comment pouvait-on agir aussi
spontanément et orchestrer sa fuite avec autant de machiavélisme
tout en prétendant avoir agi sur un coup de folie tandis qu'elle
faisait son footing ? Sans motif, pas même une pulsion sexuelle ! Probable qu'il préparait, même
inconsciemment, son passage à l'acte, car au moment venu, ses gestes
furent précis, justes, mesurés...
D'après lui, la victime reposait sous un amoncellement de branches, à quelque distance
d'un chemin forestier. Les odeurs de putréfaction ne manqueraient
pas d'alerter des promeneurs, elle serait bientôt découverte. La
police scientifique analyserait alors les traces ; l'enquête ne
serait pas longue.
J'ai lu et relu mes
notes. J'avais tout. J'aurais pu écrire un récit précis et
détaillé des agissements de ce criminel. Il était à ma merci.
Je me suis rendu en
forêt. J'ai retrouvé cette jeune femme. Elle était bien là,
éteinte, le cou bleui par la strangulation. Malgré son teint
livide, ses vêtements déchirés, sa crasse, elle demeurait d'une
beauté d'albâtre. Je savais qu'elle serait désirable. Je portais
des gants, j'avais un préservatif, le caractère sexuel du crime,
même post-mortem, ne pourrait être attribué à personne d'autre
qu'au tueur. Pourquoi se priver ?
Et puis, ne dit-on pas
qu'il faut honorer les morts ?