L’atelier est sombre,
enfumé. Les machines vrombissent tels des insectes rampant sur une
planche de bois. Rythmique assourdissante. Les petits travailleurs
s’affairent tête baissée, sur leur caisson de travail. Leurs yeux
fatigués ne se lèvent jamais vers l’éclairage artificiels,
encrassé de toiles d’araignées, leurs doigts habiles posent,
collent, fixent, soudent à grande vitesse. Chaque geste leur prend
en moyenne 0,9 secondes.
L’agent de maîtrise
fait claquer ses bottes dans ses travées. Vêtu d’une combinaison
de cuir et d’un masque moulants, il lève bien haut son fouet et
tend la lanière d’un geste sec, pour signifier à chacun que la
moindre baisse de productivité sera sanctionnée. Pour estimer les
pertes de rythme de chaque employé, un pod, enserré autour de son
poignet, lui restitue la moyenne de cadence de chacun.
Soudain, une chaîne de
montage tout entière ralentit. Il se précipite, visualise le
principal coupable et lance son fouet dans le dos famélique d'un
laborieux. Pris d'un malaise, le misérable s'écroule de sa chaise
et tressaute sur le plancher en bavant, secoué de convulsion. Son
regard s’éteint bientôt, et l’agent de maîtrise demande aux
nettoyeurs de jeter ce mauvais élément au rebut. Pas grave, ce ne
sont pas les postulants qui manquent. Un autre enfant est bientôt
choisi dans le hangar, où les prétendants forcés à ce poste,
vendus par leurs parents, s’entassent, enchaînés aux murs de
pierre.
L'employé neuf prend la
place du précédent et relance la machine avec vigueur. Par acquit
de conscience l’agent de maîtrise lui assène un coup de fouet,
pour le motiver, avant de repartir dans les travées, et de faire de
nouveau claquer ses bottes.
Le soir venu, l’agent
Holdson quitte l’atelier ; dans le couloir, il croise son
remplaçant de tournée, un barbare roux à queue-de-cheval. Ils se
saluent bruyamment, prennent de leurs nouvelles, se congratulent pour
les excellents résultats de l'unité de production, et de la firme
en général. En fin d'année, leur prime leur permettra de se payer
de belles vacances. Avant de quitter l’usine, Holdson s’empare
d’une boîte contenant le produit fini.
Une voiture avec
chauffeur le conduit jusqu'à sa résidence privée, protégée d'une
grille haute de trois mètres. Elle s'arrête devant l'entrée du
bâtiment B. Il remercie son chauffeur, lui glisse un billet dans la
paume, indique le code secret pour ouvrir la première porte, passe
son badge personnel dans un boîtier, près de la seconde, et pénètre
dans l'ascenseur pour retrouver son petit appartement, au quatrième
étage.
Son fils de dix ans
l’accueille avec une joie non feinte. À l'école, il a conçu tout
seul une maquette de centrale nucléaire. La fierté transparaît
dans son regard bleu, ferté bientôt remplacée par l'envie,
lorsqu'il aperçoit le carton porté par son père. Un trésor. La
nouvelle version de la console Goowa.
Holdson a apporté trois
jeux avec lui, son gosse va les tester. Les résultats seront
remontés à la direction. Mais il ne doutait pas un instant de la
haute qualité du produit, ni de son futur succès.
Une console de jeux
dernier cri à 19€, la concurrence ne pourra pas lutter…
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