« Cette fois, c'est
décidé, je dégage tout ! », fulmina Françoise en son
for intérieur. Depuis trois ans qu'elle avait emménagé dans cette
masure héritée de sa grand-mère, morte depuis dix ans, et dont
elle n'avait plus aucun souvenir, elle n'avait jamais osé faire le
vide dans le grenier. Certaines vieilleries auraient pu intéresser
des antiquaires, ou au pire, des particuliers à l'occasion d'une
brocante, mais elle s'en moquait. Cette baraque devait être
débarrassée de son passé trop encombrant. Tout partirait à la
poubelle, tant pis !
Pour une raison inconnue,
l'entretien de cet endroit relevait de sa seule compétence. Jamais
personne n'y entrait, ni son mari, ni son fils, ni sa fille – et
elle y tenait.
- Tu veux de l'aide, ma chérie, avait proposé Henry...
Jamais de la vie !
Il avait déjà aménagé le sous-sol en atelier de menuiserie,
d'ajustage et en cave à vin. Elle n'allait tout de même pas lui
laisser « son » grenier !
La tâche s'avérait
ardue. Le lieu débordait, à tel point qu'on ne pouvait plus y
circuler. Dans un espace de cinquante mètres carrés se pressaient
une dizaine de malles, des étagères garnies de bibelots
poussiéreux, des cartons parfois trop fins et déchirés pour être
portés, des outils de jardinage, des tapis, des vêtements, des
chaussures, des pots de peinture, des matériaux d'isolation... Avec
de la détermination, Françoise savait qu'elle pourrait se
débarrasser de la majeure partie de ce bazar. Restait les malles,
qu'il faudrait porter à plusieurs. Ce serait l'occasion de faire
travailler les enfants... Pas Henry, ça non !
Midi approchait déjà.
Elle grimpa en haut de l'échelle, armée d'un rouleau de
sacs-poubelles de cent litres. En cette journée estivale, un franc
soleil embrasait le ciel, et frappait l'unique Velux des combles avec
force. Les rayons filtraient entre les diverses couches de désordre
en striant le peu d'espace accessible de faisceaux éblouissants. Une
poussière épaisse dansait à l'intérieur, semblable à un essaim de
pucerons. Des ombres grotesques s'agitaient sur les tapisseries de
toiles d'araignée étalées au plafond.
Écœurée par cette
débauche de formes spectrales et exaspérée par le manque de
visibilité, elle enfourna dans un sac tout ce qui passait sous sa
main : un ballon, une poupée, un jouet en bois, une liasse de
photos représentant des nouveau-nés (elle ne reconnaissait aucun
membre de sa famille sur les clichés), un mixeur rouillé, un carton
entier de livres de littérature populaire (des S.A.S, des San
Antonio, des Anticipation, des Gore – qui pouvait-être assez
dégénéré pour lire de telles horreurs ? Quelles couvertures
dégoûtantes !), une Barbie mutilée, un sac rempli de Lego,
une truelle enduite de ciment, un moulin à café démoli, une rangée
de soldats de plomb... et sursauta, frappée de stupeur par un grand
fracas.
La trappe d'accès venait
de claquer.
- Henry, qu'est-ce que tu fous ?
Pas de réponse. Était-ce
un courant d'air ? Elle poursuivit son ménage, ouvrit un
nouveau sac pour le verre, tri sélectif oblige, et y glissa une
rangée de bocaux vides, des verres dépareillés, des plats de
cuisine crasseux, des bouteilles... soudain une étagère lui barra
le chemin en grinçant, déversant une partie de son contenu à ses
pieds. Effrayée, elle fit un pas en arrière. Un nuage passa devant
le soleil, réduisant la luminosité à un contre-jour grisâtre. Les
ombres se fondirent les unes aux autres en une forme de brume.
Françoise eut un haut-le-cœur. Elle n'avait pas d'hallucination. Le
meuble avait bougé tout seul ! Et une sorte de vapeur suintait
des murs...
Sa main fut brusquement
happée, si fort que son poignet se brisa sous le choc. Un couvercle
de malle venait de se refermer sur elle ! Elle hurla, se
débattit, appela à l'aide, incapable de se dégager. Le nuage
sombre étouffa ses appels. Son bras fut alors aspiré jusqu'à
l'épaule. Elle perdit l'équilibre et bascula à genoux. Son membre
pendait dans un vide étrange, un vide « avide »... qui
l'entraînait vers ses entrailles... Sa tête fut saisie, elle
bascula à l'intérieur de la gueule béante, s'agrippa aux rebords
d'osier dans une ultime résistance. La malle se referma si
violemment que ses phalanges furent broyées. Elle sombra dans les
ténèbres.
Vers treize heures, toute
la famille se regroupa autour de la table de la cuisine. Chacun
attendait, se lançant des regards circonspects.
Qui préparait le
déjeuner, d'habitude ?
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