« Cesse de lutter, viens à moi ! Tu as passé tant
d'années à te priver de tout, à te cacher, et pour quelle
récompense ? Le Paradis après le trépas ? Je te
l'affirme ma sœur, le jardin d’éden n'existe pas. Les petits
lutins non plus. Pas de salut. Juste le noir, l'oubli. Je te propose
le plaisir, la puissance... Ne sois pas idiote ! »
Odile s'éveille en nage, la main droite crispée à hauteur de la
gorge, autour de sa croix. Ce démon la harcèle depuis des mois.
Dans son sommeil, et parfois la journée, muant son quotidien en
épreuve de foi. Les prières atténuent la puissance de ses
attaques ; elle s'y emploie la majeure partie du temps.
La seule distraction qu'elle parvient à s'accorder reste la
promenade. Là aussi, c'est un véritable défi. Elle souffre depuis
toute petite d'une peur incontrôlable des animaux domestiques,
surtout des chiens. Elle ne sait plus où aller pour les éviter.
C'est presque impossible en ville. Cet isolement l'oppresse.
En ce début juillet, la température s'est élevée au-delà du
supportable. Sa maison est une étuve, même fenêtres et volets
fermés. Elle décide alors de sortir, à l'aube, en forêt. Armée
d'un bâton de marche taillé en pointe, elle s'engage sur le sentier
le plus étroit, à partir du parking. Les voies secondaires sont
souvent moins fréquentées.
Manque de chance, après quelques minutes, elle aperçoit, le long
d'une allée parallèle, un couple qui promène un teckel. Ce dernier
ne porte aucune attention à elle. Elle s'efforce de lui rendre la
politesse. Un bonjour de circonstance permet à Odile de paraître
« normale » aux yeux de ces gens, qui ne se doutent pas
une seconde de son effroi.
Deux heures de randonnée, aucun incident majeur. Elle respire en
contemplant le point de vue de Chailly. Le paysage est magnifique,
vertigineux. Un panorama de rêve. Son esprit s'évade, son âme
s'apaise. Elle oublie les tourments de ses nuits.
Soudain, elle entend un bruit. Se retourne. Un mouvement se distingue
au sein d'un bosquet de fougères. L'appréhension tord ses
intestins.
Elle fixe la végétation, comme hypnotisée. Une forme s'en dégage.
Un crâne. Triangulaire, doté d'une longue gueule. Sans muselière,
sans collier. Un chien errant.
« Oh non ! Mon Dieu »
Elle aimerait se ruer en avant, mais ses semelles restent collées à
la pierre. La vision d'horreur la pétrifie.
L'animal rampe plus qu'il ne marche. Ses pattes cagneuses peinent à
le soutenir. Sa maigreur exhibe chaque os de son corps. C'est un vrai
cauchemar et il vient droit sur elle. Dans son dos, c'est la falaise.
Une chute brutale si elle cède à la panique. Elle tremble. Ses
mains se crispent autour de son bâton, ses phalanges blanchissent
sous la pression. La bête geint. Ralentit. Hésite, le regard empli
de désespoir, intimidé par l'expression fermée de la femme. Odile
se libère alors de sa prostration.
Elle s'enfuit, mais ses mouvements sont maladroits. Après quelques
mètres d'une course affolée, sa chaussure glisse. Elle tombe sur un
genou. Une roche saillante se plante sous sa rotule. Un léger
craquement précède son hurlement. En plus de la douleur, s'ajoute
la frustration de ne pouvoir s'éloigner du cabot. Il est là, langue
pendante. Hideux. Il la fixe de ses yeux larmoyants. Elle lui jette
un caillou. Lui crie de dégager d'une voix hystérique. L'animal
rebrousse chemin. Geint encore, revient vers elle. Elle se relève
tant bien que mal et poursuit à cloche pied.
Même en s'appuyant sur son bâton, elle ne parvient pas à allonger
la jambe. Il est là, son museau à quelques mètres de ses
chevilles. Elle transpire, se met à pleurer. Son esprit vacille.
« Allez, bouge ! »
Impossible. Son cœur s'emballe au point de fendre les os de sa
poitrine. La sueur imbibe son maillot, coule le long de ses tempes,
imprègne sa nuque.
« Cesse de lutter, viens à moi ! Cette bête puante ne
mérite pas d’inspirer une telle terreur. Libère-toi. Je te
rendrai forte, fais-moi confiance... »
Elle reconnaît la voix. L'entité malfaisante frappe à la porte de
son âme. Un vieux réflexe tente de refermer l'issue. Résister fait
partie de ses automatismes. De sa foi. Mais l'épouvante est trop
forte. Elle cède. Il entre en elle. Son venin noircit ses
veines. Gagne ses organes. Ce flot délicieux balaie ses peurs, ses
inhibitions, ses phobies. Elle inspire un nouvel air, se redresse,
insensible à la douleur.
Tend le bras d'un geste amical. Le chien approche, frissonnant. Tête
baissée. N'ose croire en son revirement. Pourtant, les pas se
succèdent. Sa queue bat le sol, derrière ses pattes flageolantes.
Odile caresse l'oreille de l'animal, qui laisse alors échapper un
long sanglot de détresse.
Et tout à coup, elle abat son bâton. À la base du cou. La pointe
s'enfonce et ressort en faisant gicler le sang. Le supplicié pousse
un cri aigu. Titube sur quelques mètres, s'effondre de côté. Son
regard se voile, sa respiration devient sifflante, tandis qu'une mare
sombre s'étend sous sa tête.
La nonne observe sa victime avec dégoût.
Soudain la terreur la saisit de nouveau. La souffrance aussi. Déjà ?
Pourquoi cela s'arrête-t-il si vite ?
« Qu'avez-vous fait, pauvre folle ! », interroge une
voix venue du sentier.
Un sportif apparaît. Puis un autre. Ils l'invectivent. L'accablent.
La condamnent. Impossible de nier. Les traces de sang ne laissent
place à aucun doute. Une profonde honte s'abat sur elle.
Elle réalise l'ampleur de sa corruption. Le démon est malin. Et
vicieux...
« Allez, avoue... t'as pris ton pied ! »
Oh que oui !
Je préférais l'original, plus brutal. La violence participait du fantastique. Le texte reste très bon.
RépondreSupprimerJe le trouve mieux que le précédent comparé à Hellaz. Cependant, le précédent reste tres bon aussi, quoi que celui-ci est un peu moins sadique, Mais cette version est bien plus travaillée.
RépondreSupprimer