lundi 2 septembre 2019

En détresse...


« Cesse de lutter, viens à moi ! Tu as passé tant d'années à te priver de tout, à te cacher, et pour quelle récompense ? Le Paradis après le trépas ? Je te l'affirme ma sœur, le jardin d’éden n'existe pas. Les petits lutins non plus. Pas de salut. Juste le noir, l'oubli. Je te propose le plaisir, la puissance... Ne sois pas idiote ! »
Odile s'éveille en nage, la main droite crispée à hauteur de la gorge, autour de sa croix. Ce démon la harcèle depuis des mois. Dans son sommeil, et parfois la journée, muant son quotidien en épreuve de foi. Les prières atténuent la puissance de ses attaques ; elle s'y emploie la majeure partie du temps.
La seule distraction qu'elle parvient à s'accorder reste la promenade. Là aussi, c'est un véritable défi. Elle souffre depuis toute petite d'une peur incontrôlable des animaux domestiques, surtout des chiens. Elle ne sait plus où aller pour les éviter. C'est presque impossible en ville. Cet isolement l'oppresse.
En ce début juillet, la température s'est élevée au-delà du supportable. Sa maison est une étuve, même fenêtres et volets fermés. Elle décide alors de sortir, à l'aube, en forêt. Armée d'un bâton de marche taillé en pointe, elle s'engage sur le sentier le plus étroit, à partir du parking. Les voies secondaires sont souvent moins fréquentées.
Manque de chance, après quelques minutes, elle aperçoit, le long d'une allée parallèle, un couple qui promène un teckel. Ce dernier ne porte aucune attention à elle. Elle s'efforce de lui rendre la politesse. Un bonjour de circonstance permet à Odile de paraître « normale » aux yeux de ces gens, qui ne se doutent pas une seconde de son effroi.
Deux heures de randonnée, aucun incident majeur. Elle respire en contemplant le point de vue de Chailly. Le paysage est magnifique, vertigineux. Un panorama de rêve. Son esprit s'évade, son âme s'apaise. Elle oublie les tourments de ses nuits.
Soudain, elle entend un bruit. Se retourne. Un mouvement se distingue au sein d'un bosquet de fougères. L'appréhension tord ses intestins.
Elle fixe la végétation, comme hypnotisée. Une forme s'en dégage. Un crâne. Triangulaire, doté d'une longue gueule. Sans muselière, sans collier. Un chien errant.
« Oh non ! Mon Dieu »
Elle aimerait se ruer en avant, mais ses semelles restent collées à la pierre. La vision d'horreur la pétrifie.
L'animal rampe plus qu'il ne marche. Ses pattes cagneuses peinent à le soutenir. Sa maigreur exhibe chaque os de son corps. C'est un vrai cauchemar et il vient droit sur elle. Dans son dos, c'est la falaise. Une chute brutale si elle cède à la panique. Elle tremble. Ses mains se crispent autour de son bâton, ses phalanges blanchissent sous la pression. La bête geint. Ralentit. Hésite, le regard empli de désespoir, intimidé par l'expression fermée de la femme. Odile se libère alors de sa prostration.
Elle s'enfuit, mais ses mouvements sont maladroits. Après quelques mètres d'une course affolée, sa chaussure glisse. Elle tombe sur un genou. Une roche saillante se plante sous sa rotule. Un léger craquement précède son hurlement. En plus de la douleur, s'ajoute la frustration de ne pouvoir s'éloigner du cabot. Il est là, langue pendante. Hideux. Il la fixe de ses yeux larmoyants. Elle lui jette un caillou. Lui crie de dégager d'une voix hystérique. L'animal rebrousse chemin. Geint encore, revient vers elle. Elle se relève tant bien que mal et poursuit à cloche pied.
Même en s'appuyant sur son bâton, elle ne parvient pas à allonger la jambe. Il est là, son museau à quelques mètres de ses chevilles. Elle transpire, se met à pleurer. Son esprit vacille.
« Allez, bouge ! »
Impossible. Son cœur s'emballe au point de fendre les os de sa poitrine. La sueur imbibe son maillot, coule le long de ses tempes, imprègne sa nuque.
« Cesse de lutter, viens à moi ! Cette bête puante ne mérite pas d’inspirer une telle terreur. Libère-toi. Je te rendrai forte, fais-moi confiance... »
Elle reconnaît la voix. L'entité malfaisante frappe à la porte de son âme. Un vieux réflexe tente de refermer l'issue. Résister fait partie de ses automatismes. De sa foi. Mais l'épouvante est trop forte. Elle cède. Il entre en elle. Son venin noircit ses veines. Gagne ses organes. Ce flot délicieux balaie ses peurs, ses inhibitions, ses phobies. Elle inspire un nouvel air, se redresse, insensible à la douleur.
Tend le bras d'un geste amical. Le chien approche, frissonnant. Tête baissée. N'ose croire en son revirement. Pourtant, les pas se succèdent. Sa queue bat le sol, derrière ses pattes flageolantes.
Odile caresse l'oreille de l'animal, qui laisse alors échapper un long sanglot de détresse.
Et tout à coup, elle abat son bâton. À la base du cou. La pointe s'enfonce et ressort en faisant gicler le sang. Le supplicié pousse un cri aigu. Titube sur quelques mètres, s'effondre de côté. Son regard se voile, sa respiration devient sifflante, tandis qu'une mare sombre s'étend sous sa tête.
La nonne observe sa victime avec dégoût.
Soudain la terreur la saisit de nouveau. La souffrance aussi. Déjà ? Pourquoi cela s'arrête-t-il si vite ?
« Qu'avez-vous fait, pauvre folle ! », interroge une voix venue du sentier.
Un sportif apparaît. Puis un autre. Ils l'invectivent. L'accablent. La condamnent. Impossible de nier. Les traces de sang ne laissent place à aucun doute. Une profonde honte s'abat sur elle.
Elle réalise l'ampleur de sa corruption. Le démon est malin. Et vicieux...
« Allez, avoue... t'as pris ton pied ! »
Oh que oui !

2 commentaires:

  1. Je préférais l'original, plus brutal. La violence participait du fantastique. Le texte reste très bon.

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  2. Je le trouve mieux que le précédent comparé à Hellaz. Cependant, le précédent reste tres bon aussi, quoi que celui-ci est un peu moins sadique, Mais cette version est bien plus travaillée.

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