vendredi 21 février 2020

Egosangtrisme


Je suis immortel, enfin.
J'ai mis le temps, j'en ai chié, mais voilà, c'est fait.
Il s'en est fallu de peu que j'abandonne. Cela devenait compliqué avec les autorités. Je connaissais les risques avant de me lancer. Ils faisaient partie du jeu, d'accord. Malgré tout, je pense n'avoir jamais envisagé mon avenir, ne serait-ce que deux à trois décennies, enfermé entre quatre murs. Le suicide m'aurait paru préférable. Belle ironie ! Mais en réalité non, je m'aime trop pour me tuer, alors j'aurais plutôt opté pour le renoncement.
Par chance, le montant de mes comptes bancaires a flambé au bon moment. Mes affaires, jusqu'à présent moribondes, ont connu un essor inattendu, grâce à une pandémie monstrueuse, ayant décimé des millions de personnes à travers le monde, surtout en Chine.
J'ai pu gravir les échelons, entrer au sein des plus grandes firmes, me faire élire, d'abord maire, puis député... Je reviens de loin, mais à présent mon horizon est sans limite. Cela en valait la peine.
Au départ, je devais me débarrasser de mes parents. Classique. J'étais encore mineur, l'acte, bien que grossièrement exécuté, passa pour un accident. Je suis blanc, issu de bonne famille, facile, je ne pouvais pas être impliqué. On m'a laissé tranquille, on m'a même aidé matériellement et psychologiquement. Ah ! Madame Schwitz, ma psy. Une belle femme. De trente ans mon aînée ? Et pourtant, toujours sexy, la « MILF » ! J'ai pas mal fantasmé sur elle. Et je dois l'avouer, c'est son image qui m'a permis d'honorer mon deuxième engagement.
Tuer ma sœur n'était pas un souci, je ne l'a supportais pas. Mais je devais aussi la violer. Cette peste, en plus d'être pénible, ne possédait pas le moindre attrait sexuel. Ok, c'est sans doute normal à huit ans, mais tout de même, elle aurait pu avoir un peu de charme. Là, rien. Alors madame Schwitz m'est venu à l'esprit assez vite. L'énergie a afflué, j'ai pu exécuter l'outrage, malgré les cris de cette petite garce !
Son exécution finale fut une délivrance. Strangulation. Yeux dans les yeux. Un vrai bonheur ! Je dois le reconnaître, j'aurais dû commencer comme ça, cela m'aurait aidé. Pas grave. Cet acte manqué a nourri mon expérience, donc, pas de regrets ! Je m'en suis servi après, à maintes reprises.
Rester éligible ne fut pas chose aisée.
Il m'a fallu supprimer une vie humaine chaque mois pendant trois ans, à ma convenance. Puis, j'ai dû accélérer la cadence, une fois par semaine durant deux ans. Enfin, les victimes devaient être âgées de moins de quinze ans, durant une année complète et là, croyez-moi, même un pays occupé à juguler la foule des contestataires et autres « gilets jaunes » est capable de déployer de gros moyens pour traquer un tueurs de cet acabit. Je variais les méthodes, changeais d'instruments, me déplaçais à travers la province...
Grâce à ma fortune, aussi opportuniste que cynique – les marchés chinois étant en berne, je me suis immiscé entre leurs sillons, faisant mon beurre de leur malheur – je suis parvenu à me délivrer de tout soupçon et à demeurer compétitif.
La concurrence était rude. Peu nombreuse, certes, un allemand, un suédois, un américain, mais âpre et obstinée. Nous étions vraiment bons. Nos méfaits noircissaient souvent les pages des quotidiens du monde entier. Rien que cela relevait de la consécration. Mais je n'étais pas homme à me contenter d'un prix de consolation. Je la voulais ma récompense. Je l'exigeais.
Alors j'ai pris une initiative.
Puisque le but du jeu, au final, consistait à tuer des enfants, eh bien, qu'à cela ne tienne ! J'ai cramé une école primaire. Je n'ai laissé aucune chance aux occupants. Enfin, je veux dire, mes employés. En plein jour, avant la récré du matin, ils ont encerclé l'établissement, ont versé des litres d'essence sur les infrastructures, en cercle. Tout à cramé très vite. Ils y sont tous restés. Un peu plus de deux-cents gamins et une vingtaine d'institutrices.
Là, je savais que j'étais bon. J'avais surpassé les attentes !
Il est venu me voir, en personne, un soir, alors que je dégustais un whisky hors d'âge face à la baie vitrée tombant sur la Seine, ses ponts, ses lumières, et sa tour de fer. Il s'est approché de moi, grand, immense, magistral, et il m'a consacré. Dieu en personne m'a accordé le don ultime.
Je suis resté prostré durant des heures, en pâmoison, à ses pieds. Puis il a disparu.
Quelques effets secondaires se font ressentir. Des démangeaisons, surtout, là où ma peau se couvre de verrues purulentes, le long des côtes, sur les bras et les jambes. Une excroissance d’arêtes hérisse mon échine, difficile de porter des chemises en popeline, elles finissent en charpie. Les membres qui ont poussé sous mes aisselles me paraissent inutiles, sans vie, leurs pattes trop griffues s'opposent aux manipulations, ils sont juste gênants. Certes ma vue est bizarrement déformée et je bave beaucoup.
Bof ! Dommages collatéraux. Ce n'est pas bien grave. Je retiens l'essentiel.
Je suis immortel, enfin.

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