mercredi 8 octobre 2014

Cave close

Nous sommes faits comme des rats. Il n'y a plus aucune échappatoire. La fatigue, la faim, le froid auront bientôt raison de nos carcasses déjà bien abîmées par les tortures.
Tout ça à cause d'un fumier de binoclard.
Bernard-Henri Lafine, nouvellement baptisé la fouine par nos soins, était une sorte de taupe. Ce salopard nous servait de guide dans le contrat que nous devions, moi et mes deux associés, remplir pour le compte d'Arturus Guemp, un riche propriétaire de chaîne d'hôtellerie...
Un concurrent indélicat, Conrad Herbert, avait acquis tout un ensemble de pavillons de haut standing, ainsi que plusieurs centaines d'hectares d'un terrain que convoitait Guemp. Il avait senti le potentiel commercial d'un tel lotissement de baraques friquées, situé sur une parcelle de terre presque vierge d'infrastructures et – chose importante, négligée par les écologistes... Il avait donc agrémenté ses achats d'un projet de construction hautement lucratif, fait de grandes surfaces, de restaurants, de boutiques... et refusait naturellement de vendre cette mine d'or à Guemp, provoquant chez ce dernier des accès incontrôlables de rage.
Ce brave monsieur Herbert chiait donc sur les pompes de monsieur Guemp, et monsieur Guemp préférait conserver des chaussures propres. Il m'avait donc proposé de faire le nettoyage...
Ce Lafine travaillait comme secrétaire chez Herbert. Il m'avait présenté comme un client potentiel pour l'ensemble du réseau de pavillons – ce qui m'avait permis d'obtenir un entretien avec le patron en personne.
Sauf que ce Lafine jouait double jeu. Une petite trahison plus tard, mes deux potes et moi avons été mis hors d'état de nuire, et jetés dans les caves de la riche propriété de monsieur Herbert, un lieu de douleur et d'oubli, solidement verrouillé par une porte blindée.
À l'aide d'un équipement plus ou moins sophistiqué, les cerbères de monsieur Herbert nous ont interrogés. Nous avons résisté pour le principe, mais après quelques séances d'électrochocs, de brûlure au chalumeau et de mutilations au scalpel, nous sommes tous les trois passés à table.
Frank, le plus orgueilleux, a fait buvard. Son attitude insoumise et ordurière nous a permis à Jacquot et moi d'éviter les plus grandes souffrances. Lui, par contre, il a pris cher.
J'avais compris que Lafine était une petite fiotte, qui avait empoché l'argent de Guemp en toute déloyauté. J'ai donc profité des séances de questionnement pour le compromettre et inventer une histoire plausible d'enveloppe secrète, pour le faire tomber comme agent double.
J'ai été très convaincant...
Lafine s'est retrouvé attaché sur les mêmes chaînes que les nôtres, et il a eu beau tout déballer, avec force détails, en affirmant sa totale loyauté envers Herbert, pourtant bien véritable, rien n'a suffi. Il s'est fait mettre en pièces, et je soupçonne les bourreaux de l'avoir fait, non pas parce qu'ils croyaient mot pour mot ce que j'avais raconté, mais parce que ça faisait longtemps qu'ils voulaient faire saigner cette petite merde... Ils l'ont tabassé pendant près d'une heure, l'abandonnant à son sort comme nous trois, au fond de cette sombre prison.
Nous étions tous les quatre enfermés depuis plusieurs jours lorsque j'ai été pris de panique. Ce n'était pas la première fois que l'on me faisait prisonnier. En général, les geôliers attendaient la réaction de mon employeur, négociaient le montant de ma libération, ou m'achetaient pour que je retourne ma veste, ce que je ne manquais jamais d'accepter. Ici, rien. Silence complet.
Il fallait que je sorte.
J'ai tiré sur mes chaînes ; Jacquot a fait pareil, nous avons croisé, emmêlé, avons tiré de toutes nos forces, et finalement les mailles ont cédé.
Enfin libres, Jacquot et moi avons douloureusement franchi les marches menant à la porte blindée, et avons pu constater à quel point cette dernière l'était, blindée. Impossible de la faire trembler. Nous aurions eu plus de chances de sortir en abattant un mur.
Même la serrure était imprenable, une sorte de fente étroite en forme de S.
Nos bourreaux avaient emporté la majorité de leur matériel avant de nous abandonner ici, mais il restait quelques outils, comme des marteaux, des limes, preuve qu'ils ne doutaient pas un instant de la solidité de l'issue.
Nous nous en sommes servi pour défaire les chaînes de Frank et de Lafine.
Franck était livide, à moitié mort. Il avait une rotule réduite en purée, une main coupée, un œil brûlé, la plupart des dents arrachées... des blessures impressionnantes devenues mortelles après plusieurs jours d'attente sans soins médicaux adaptés. Il était foutu, mais pas Lafine, et ça nous énervait beaucoup, Jacquot et moi.
Nous avions bien envie de faire nos nerfs sur cette saloperie. Nous commencions à le taper lorsqu'il a fondu en larmes, et nous a raconté entre deux sanglots :
  • Je sais où est la clé du cachot...
C'était pas croyable ! Cela faisait près de dix heures que nous étions libres, Jacquot et moi, et tentions de trouver un moyen de démolir une porte imprenable, et ce peigne-cul nous envoyait dans les oreilles qu'il savait où se trouvait la clé de ladite porte. Heureusement, je ne tenais pas de marteau en mains au moment de cette révélation, autrement je lui aurais fait exploser le crâne, c'est certain.
Il a fallu le secouer encore un peu avant qu'il ne passe aux aveux complets. Il avait gobé la clé juste avant d'être jeté au fond de la cave, avec nous. Je dois reconnaître qu'étant donné les circonstances, c'était assez malin. Il n'aurait jamais pu la cacher, nous étions tous en slip dans cet endroit lugubre.
Sauf que maintenant, il devait se forcer à la chier cette clé. Et ses boyaux, peut-être à cause du stress ou du manque de nourriture, refusaient d'obtempérer.
Nous étions crevés. Bravant notre faim, nous avons un peu dormi. Mais à notre réveil, nous devions trouver une solution pour faire cracher la clé à cet abruti. Je ne voyais pas d'autre solution que de l'ouvrir en deux. Il savait que j'en viendrais à cette éventualité, c'est pour cette raison qu'il n'avait avoué sa manœuvre qu'en dernier recours, et sous une menace explicite.
Déterminé, j'avais empoigné un marteau de charpentier, et m'étais jeté sur lui. Ses hurlements ont résonné contre les parois humides de la geôle, et ses sphincters ont lâché. Enfin.
Jacquot et moi l'avons laissé récupérer notre sésame. Il se trouvait bel et bien dans la masse de merde dont l'odeur paraissait presque agréable au milieu des remugles de vomi, de chair avariée et de sueur rance qui empuantissait l'air de notre prison. Je l'ai aidé à monter les marches, et l'ai observé tandis qu'il glissait la petite clé plate dans la fente en S. Elle entra du premier coup.
Mais Lafine ne parvint jamais à la tourner dans la serrure. Elle entrait dans la fente, mais refusait obstinément de tourner – et de déverrouiller la serrure...
Pour calmer notre frustration, nous avons traîné Lafine près du cadavre de notre ami Franck. Il hurlait comme un putois, pire que lorsque les gars de son patron l'ont roué de coups. Il avait compris que cette fois, rien ne viendrait le sauver. Son seul espoir de survie, c'était cette clé, et d'ailleurs, il faut le reconnaître, s'il était parvenu à ouvrir la porte blindée, j'aurais totalement oublié jusqu'à son existence, et me serais rué vers l'extérieur en le laissant libre... malheureusement pour lui, ses sucs gastriques avaient probablement altéré la qualité de cette misérable clé, et l'avaient de ce fait condamné.
Nous l'avons attaché à la planche des supplices, et tous deux munis d'un marteau, lui avons fracassé le crâne. Cela n'a pris que quelques minutes. Juste le temps de nous calmer, Jacquot et moi.
Maintenant, comme je le disais, nous sommes faits comme des rats.
Le silence nous oppresse. Franck sent de plus en plus mauvais. Nous n'avons pas de couverture pour masquer l'odeur. Nous l'avons traîné le plus loin possible, mais la cave fait moins de trente mètres carrés.
Lafine est encore intact. Jacquot et moi nous sommes mis d'accord. Pour réfléchir à notre situation plus sereinement, nous devons nous restaurer. Ce n'est pas très ragoûtant, car nous n'avons rien pour cuire la viande, mais la situation exige de nous des nerfs d'acier.
À l'aide d'une scie à bois, je tranche de larges steaks dans la cuisse poilue du secrétaire. J'offre la première à mon ami, qui non sans faire la grimace, accepte de mordre dedans. Cela n'a pas l'air savoureux, mais je m'acquitte également de cette épreuve. La chair est suintante d'hémoglobine. Froide. Collante. C'est écœurant, mais mon estomac en détresse se délecte honteusement de cette infâme denrée.
Jacquot et moi dégustons silencieusement cet immonde repas lorsqu'une idée me vient l'esprit.
La bouche encore ruisselante de sang, je monte l'escalier, et manipule la clé. Elle se met à tourner dans le sens contraire des aiguilles d'une montre.

Ce con de Lafine s'était contenté de tourner dans un seul sens...

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