Qu'espérais-tu en procréant, charogne
?
Donner un sens à ta vie, gagner une
reconnaissance sociale, bénéficier d'une allocation ?
Quelle belle réussite ! Je suis
venu au monde dans la douleur et j'y suis resté. Ne compte pas sur
moi pour te remercier. Tu me trouves ingrat ? M'offrir une
existence aurait dû me combler ? Pauvre dégénérée !
Etre sur terre ne suffit pas.
Tu aurais dû être ma mère.
Enfermé dans cette cave humide, j'ai
chassé rats et souris pour satisfaire ma faim et ma soif. Oh !
Tu ne m'avais pas abandonné. Parfois, je trouvais des restes sur le
seuil de ma cellule. Je mâchais le gras, rongeais les os, aspirais
le jus. La vermine avait meilleur goût...
J'ai rampé de longues années avant de
pouvoir me dresser sur mes deux pieds. Etre humain n'était pas
naturel pour moi. Je ne parlais aucune langue. Communiquer ne
m'aurait servi à rien, car j'étais seul, complètement seul, perdu
dans l'ombre. Je craignais ta présence. Tes visites annonçaient
douleurs et privations. Tu me battais, tu me punissais, pour des
crimes dont je n'avais pas idée. Des crimes nés de ton esprit...
Sans un coup du sort, je serais resté
enfermé toute ma vie, sans personne pour m'entendre, me comprendre,
m'aimer... J'aurais grandi en pourrissant...
Le séisme a tout changé.
Le sol s'est fissuré, la maison s'est
écroulée. J'ai profité des éboulements pour me faufiler dans les
ouvertures. Des pierres m'ont fracassé le dos, les orteils, mais je
suis sorti. J'avais dix ans. Cette liberté m'a paru vertigineuse.
Oubliant la douleur, j'ai couru longuement, avant d'être recueilli
par des gens. De vraies personnes. J'étais trop faible pour lutter.
L'école m'a façonné différemment.
De bête, je suis devenu homme. J'ai oublié le goût des rats. J'ai
connu des amis, des filles. Mon intellect s'est développé, mon
corps a changé. La société me proposait de multiples orientations.
J'aurai pu trouver ma voie, être enfin heureux.
Mais je ne t'ai jamais oublié. À la
première occasion, je suis parti à ta recherche. Cela n'a pas été
long. Je me suis présenté à ta porte, dans cette barre HLM sordide
où tu avais été relogée.
Tu as ouvert, pauvre folle ! Tu ne
m'as pas reconnu. Ton agressivité ne m'impressionnait plus. J'étais
adulte à présent. Mon cœur avait durci.
Tu es tombé sur le plancher crasseux.
Ton regard s'est agrandi progressivement. Enfin, tu ouvrais les yeux.
Je venais pour toi, gentille maman !
Mes papilles avaient oublié la saveur
de la vermine. Il était temps d'y revenir. J'avais vraiment faim...
Mon couteau a tranché, lardé,
découpé, équarri... De beaux morceaux ont garni le réfrigérateur.
Tout mon talent de cuisinier a été mobilisé. Je t'ai préparée à
la poêle, au four, au gril, accompagnée de pommes de terre, de
haricots rouges, de champignons, agrémentée de sauces au poivre, de
confit d'échalote, d'olives... J'ai passé près d'une semaine à te
dévorer.
Au fur et à mesure, j'ai déversé les
vestiges de mes repas dans une urne.
Ainsi ont été célébrées tes
funérailles...
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