— Cessez de vous gratter et allumez
la lumière, que diable !
Le frottement de tissu et de peau se
poursuivit encore un moment, puis se conclut sur un gloussement
guttural.
— Pardonnez-moi, mon ami, dit le
schizophrène en rallumant le néon, je me masturbais. Il eut été,
je le pense, très inconvenant de m'exhiber à découvert.
Cette précaution toucha sincèrement
Humphrey, mais la tâche poisseuse engluant le ciment à quelques
centimètres de ses pieds, l'emplit d'un dégoût outragé.
— Vous auriez pu m'avouer votre
homosexualité sans user de violence, fit-il remarquer à son
bourreau.
— Que dites-vous ? Homosexuel,
moi ? Allons...
— Comprenez-moi, ce geste est assez
ambigu...
— C'est une question
d'interprétation. Je suis ému par la situation, voilà tout. Je
vous ai trompé, abusé, et attaché sur cette chaise. Vous êtes à
ma merci, je vous domine, et cela m'excite...
— Je vois. Toutefois, puisque vous
semblez à présent satisfait, avez-vous encore besoin de me tenir
ainsi captif ?
Le jeune homme émit un rire élégant.
Sa grande silhouette filiforme tremblota légèrement sous l'action
du diaphragme. Son visage souriant à la coiffure gominée se tourna
vers Humphrey :
— Je ne suis en rien satisfait. Juste
apaisé...
— C'est une jolie nuance.
Le déséquilibré fit quelques pas,
l'air pensif. Sous la lueur diffuse du néon, il paraissait aérien,
majestueux. Son costume sur mesure épousait à merveille chaque
relief de son corps. À une posture rigide s'opposait une démarche
souple et assurée. Humphrey le voyait comme un athlète de haut
niveau se conformant à un port altier en tout point aristocratique.
Depuis combien de temps était-il
captif en ce lieu poussiéreux et malfamé ? Pas plus de deux
jours, mais le siège manquait de confort et son fessier
s'engourdissait. Ses articulations accusaient son âge. Son vieux
corps asséché manquait d'air, d'eau et de soleil...
— Qu'allez-vous faire de moi ?
— N'est-ce pas évident ?
Rétorqua le psychopathe en s'immobilisant, le sourcil levé.
Sans s'expliquer, il se dirigea dans un
coin sombre de la cave, derrière un rayon de bouteilles de vin, puis
revint en traînant une table roulante. Sur la plaque métallique
scintillaient divers instruments chirurgicaux.
— Est-ce plus clair ?
Humphrey fut pris d'une vive excitation
à la vue de ces outils si familiers. Une érection douloureuse
déforma son pantalon. Quelle émotion étonnante, presque oubliée !
Combien de fois les avait-il utilisés ? Des
milliers d'images issues du passé prirent d'assaut sa mémoire
tourmentée. Les plaisirs d'autrefois se conjuguèrent avec effroi à
la détresse du présent.
— Cette mise en scène n'est pas un
hasard, n'est-ce pas ? Vous savez bien des choses à mon
sujet...
— Je le sais, confia soudain le
dingue en approchant son beau visage du sien, car je sais qui tu
es...
Humphrey ferma les yeux. Les souvenirs
s'accumulaient, s'enchevêtraient en un horrible maelstrom dans son
esprit. Le métal sifflait, crissait, les lames tranchaient,
hachaient, le sang giclait, s'écoulait. Les hurlements, la douleur
infligée, ces délices des temps anciens, se fondaient en un horizon
obscur et effrayant.
— Tu me connais Humphrey, reprit le
tueur, tu me connais, car tu sais qui tu es... Humphrey Loos... ce
redoutable prédateur...
Humphrey accepta ce qualificatif avec
orgueil... prédateur...
Le scalpel apparut devant son nez et se
planta dans son œil droit... Le hurlement du vieillard emplit la
cave en résonnant, le sol trembla, les murs se fissurèrent, le
plafond se fendit en deux, le néon vacilla. La souffrance tel un
séisme vibrait de sa poitrine oppressée, et rien en ce lieu de
perdition ne le sauverait de son châtiment. La mort s'était déjà
présentée... Et ce jeune furieux... imitait ses prestations
passées. À la perfection...
— Je te connais, affirma le
tortionnaire, car je sais qui je suis...
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