Le tueur se rapproche. J'entends le
moteur de sa tronçonneuse, et les déchirures de la lame contre le
bois lorsqu'il déblaie la végétation située sur son passage. Je
cours de toutes mes forces, la poitrine en feu, la gorge asséchée.
Rien à faire, il avance plus vite que moi. Je sens presque son
souffle sur ma nuque. Il va bientôt me rejoindre. Pourtant, il se
contente de marcher tandis que moi, je me rue en avant, déployant toute mon énergie...
Je jaillis soudain dans une clairière.
Je rencontre des tentes, de petites canadiennes, une dizaine disposée
en cercle. J'interprète cela comme un signe, une aubaine. J'ai
besoin de ralentir mon bourreau, ces imbéciles de campeurs vont me
servir d'appâts.
Le psychopathe sort des ombres, révélé
par les premières lueurs de l'aube et apparaît dans toute son
horreur. Très grand, vêtu d'un jean crasseux et d'une chemise
épaisse à carreaux rouges, son instrument de torture semble avoir
été autrefois un outil de travail. Je croise son regard vitreux,
seule partie de son visage non masquée. Il est presque blanc, mort.
La terreur me pousse à oublier tout scrupule.
J'assène des coups de pied dans les
toiles. Des grognements endormis se dégagent des tissus maltraités.
Les occupants bougent, s'interpellent,
j'estime les avoir suffisamment dérangés. Maintenant, je reprends
ma course, en redoublant d'efforts. Je dois en profiter.
La tronçonneuse entre en action. Des
hurlements s'élèvent dans le ciel, résonnent en écho. Mon plan a
fonctionné. Écharper ces malheureux va l'occuper un certain temps.
Une échappatoire est proche, je le sais. Les lieux me sont
familiers.
Je débouche enfin sur la rive du
fleuve. Ici ma fuite est aisée, les branchages et les fougères
n'entravent plus ma progression. Une embarcation repose sur les eaux
sombres, à quelques centaines de mètres. J'oublie un peu ma
fatigue, m'efforce d'ignorer la douleur brûlant mes cuisses et mes
mollets. Le chemin est dégagé.
J'y suis presque.
Ma main s'avance vers les cordes
d'amarrage lorsque tout à coup, quelque chose me happe par-derrière,
par la ceinture. On me soulève, et on me jette comme une vulgaire
poussière balayée par le vent. Je m'élève dans les airs, pauvre
volatile sans aile et je m'effondre lamentablement sur la rive du
fleuve, les os brisés, le cœur dilué.
À peine me suis-je redressé que
l'assassin se jette sur moi. Par réflexe, je me protège d'un bras,
et observe avec stupeur plusieurs doigts tomber sur le sol. Le
tranchant de la tronçonneuse se plante dans mon front, émet un
grincement atroce et s'enfonce plus profondément au travers de mon
visage, déchiquetant mes chairs et broyant mon squelette. Je suis
planté debout sans pouvoir bouger. J'assiste impuissant à la
section – la dissection même – de mon pauvre corps. Mes viscères
se déversent sur mes pieds, mes organes fendus libèrent des flots
de sang impressionnants, et lorsque la chaîne s'extrait enfin par
l'aine, mes génitoires suivent le mouvement. Et je tombe de part et
d'autre de moi-même.
L'un de mes yeux aperçoit le gardien,
ce maudit rottweiler à trois têtes. Il était bien caché, le
bougre ! Il m'a encore battu...
Bientôt, je reviendrai, poursuivi par
un autre tueur, ou le même, dans cette forêt ou un autre lieu. Et
je réessayerai de rejoindre la barque. C'est mon châtiment, mon
défi. Et lui sortira de sa niche pour m'en empêcher...
Saleté de clébard !
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