J'ai longuement étudié
pour en arriver là. Je mérite ma place, mon rang. Je suis envié et
détesté pour cela.
Chaque marche menant au
sommet fut une épreuve. Pas de bienveillance, aucune pitié. Nous
étions des milliers dans la course. Nous voulions tous atteindre la
consécration. Nos diplômes abreuvaient notre motivation, les idées
fourmillaient dans nos esprits. Toutes les firmes du monde ouvraient
les cuisses devant nos neurones avides. Notre intelligence et notre
audace dessinaient les voies conduisant vers un horizon de richesses
et de voluptés.
Seulement, nous étions
trop nombreux pour atteindre le sommet ; seuls les meilleurs
pouvaient y prétendre.
La vraie compétence
n'est pas tant de savoir-faire, mais de mettre en valeur son
savoir-faire. Trouver des niches, des soutiens. Je le compris très
vite, car plus j'apportai de propositions, plus les portes se
refermaient sur moi, les évaluateurs les jugeant saugrenues,
stupides, inopérantes, alors qu'il me suffisait de lier connaissance
avec les élites pour trouver grâce à leurs yeux. D'alliances en
copinages, de compromissions en trahisons, je parvins enfin à
m'imposer. J'eus un grand succès.
En quelques années, je
franchis les niveaux en rencontrant si peu d'embûches...
Je devins très vide
incontournable. Les médias me sollicitaient de toutes parts, les
journaux, les radios, les émissions de télé. Mon conseiller en
communication m'orienta vers les créneaux les plus porteurs ce qui
me permit de me sacraliser en tête d'affiche au même titre qu'un
sportif ou qu'un acteur « bankable »... Je m'amusais
vraiment.
De soirées « show-biz »
en orgies mondaines, je poursuivais ma route vers les cieux, passant
de pallier en pallier, porté par le vent du succès. Un simple mot
d'esprit suffisait à écarter les détracteurs. Une vanne de lycéen,
rien de plus. Les ducs et les duchesses les estimaient
désopilantes...
Cette folie populaire me
porta à la plus haute marche de l'escalier, dans le plus haut
appartement de la plus haute tour de la capitale. Là où je pus en
toute décontraction observer les foules, pressées autour de mon
immeuble, avides d'espoirs, perclues de haine, tremblantes
d'implorations. Je les observais avec fascination. Ainsi, ces êtres
insignifiants désiraient ardemment un salut, un salut venant de ma
volonté. Je trouvais cela charmant. Emouvant.
Par cette large baie
vitrée surplombant la ville, je toise cette assemblée de pauvres,
de chômeurs, d'ouvriers, de cadres bas de gamme, d'indépendants en
crise, et je réfléchis à la meilleure façon de me rapprocher de
leur détresse, de leurs espoirs...
Alors je me tourne vers
le mini-bar. J'y trouve de nombreuses bouteilles aptes à me
confondre avec le peuple de ce beau pays. Je bois verre sur verre. Je
bois jusqu'à l'ivresse.
Et je pense à vous, mes
chers électeurs.
Je vous aime.
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